L’arrivée massive de l’IA dans les entreprises avec la promesse sous-jacente de remplacer les individus relance des discussions sur l’intelligence collective. Après tout à quoi bon mobiliser l’intelligence collective quand une machine peut produire en quelques secondes une synthèse, un plan d’action ou une idée ?
Avec le fantasme d’un remplacement pur et simple du collectif humain par des agents artificiels de nombreuses peurs (re)font ainsi surface (IA et emploi : pourquoi je ne crois pas au « grand remplacement » de l’Homme par la machine et Cessons d’être nAIfs avec l’IA au travail)
Mais la question est mal posée.
Ca n’est pas l’intelligence collective qui est en danger mais la manière dont elle est mise (ou pas) en œuvre qui va devoir évoluer.
En bref :
- L’intelligence collective repose sur la diversité, la qualité des interactions et un cadre propice, bien au-delà de la simple collaboration.
- L’IA ne menace pas le collectif, elle révèle les failles des pratiques pauvres et invite à les repenser.
- Elle peut renforcer les dynamiques collectives en structurant les échanges, réduisant la charge cognitive et favorisant l’inclusion.
- Mal utilisée, elle devient un outil de formatage, affaiblit l’esprit critique et appauvrit la responsabilité partagée.
- Elle pousse à clarifier les rôles, affiner les méthodes et redonner du sens au travail collectif comme choix et levier de transformation.
Ce qu’est (vraiment) l’intelligence collective
L’intelligence collective ça n’est pas que « travailler ensemble » ou collaborer. C’est la capacité d’un collectif à produire un raisonnement, une idée, une décision plus riche que ce que chacun aurait pu faire seul.
Elle repose sur plusieurs piliers qui sont la diversité des points de vue, la qualité des interactions, une culture du débat et de l’écoute, une capacité à construire sur les apports des autres et un cadre qui autorise l’émergence d’idées nouvelles.
Ca n’est pas le nombre qui fait l’intelligence collective mais la coordination, l’attention, la confiance ou encore la méthode.
L’IA n’est pas une menace mais un révélateur.
Dans ce contexte l’IA nous pose une question : à quoi sert encore le collectif si la machine produit mieux, plus vite, plus clair ?
Dit ainsi la réponse est évidente et on peut prendre nos affaires et aller jouer (L’objectif du futur est le plein chômage, comme cela on pourra jouer. (Arthur C. Clarke)).
Mais on peut la poser autrement : et si l’IA nous forçait à revoir à la hausse l’ambition de nos pratiques collaboratives ?
Et là la réponse est autrement plus intéressante voire prometteuse.
Car non, l’IA ne remplacera pas l’intelligence collective à condition qu’on pratique cette dernière (ce qui n’est pas une évidence partout) et qu’on la pratique bien. Elle remplacera des pratiques collectives pauvres, inefficaces, centrées sur le consensus mou, les réunions où chacun s’écoute parler lui même ou les brainstormings sans suite et c’est plutôt une bonne nouvelle.
Mais elle ne remplacera pas une pratique efficace de l’intelligence collective, bien au contraire.
L’IA comme catalyseur du collectif
En effet l’IA peut également être un accélérateur, un stimulateur des processus collaboratifs.
Elle permet d’abord de structurer une réflexion collective avant même que les participants se rencontrent.
Ensuite elle peut mettre en lumière des angles morts en introduisant des données ou des perspectives auxquelles le groupe n’aurait spontanément pas pense.
Elle peut également contribuer à réduire la charge cognitive en s’occupant de la synthèse, de la formalisation ou de l’analyse de données.
Pour certains elle enfin un facteur d’inclusion dans le mesure où elle en compense les écarts de langage, de culture ou de capacité de formalisation entre les participants
Elle devient alors un nouvel agent dans l’écosystème de coopération, pas pour remplacer mais pour enrichir.
Exemple : la gouvernance augmentée
On va prendre un cas concret : celui d’une entreprise qui cherche à améliorer sa gouvernance.
Aujourd’hui, il est courant que les instances de décision peinent à traiter des sujets complexes, à anticiper les impacts ou à mobiliser l’intelligence de toutes les parties prenantes. Résultat : des décisions court-termistes, un dialogues de sourds, ou et empilements de PowerPoints dont il ne sort jamais rien.
Avec l’IA, on peut imaginer une gouvernance augmentée, où :
- Les propositions sont enrichies par des simulations ou des scénarios générés par IA.
- Les réunions sont préparées avec des synthèses contextuelles afin de de se concentrer sur les sujets qui ont une réelle importance.
- Les contributions sont valorisées en continu, même en dehors du temps réel (grâce aux agents conversationnels) qui les captent même hors réunion et permettent de les « recycler » et les remettre dans la boucle lorsque nécessaire.
- La mémoire collective est outillée, ce qui réduit les redites et améliore la traçabilité.
Ici on ne réduit pas le pouvoir humain mais on lui donne des bases mieux informées, articulées et partagées.
L’IA est neutre, pas son usage
Je sais que c’est un point de vue qui fait débat mais j’ai toujours été convaincu que la technologie était neutre (La technologie est elle vraiment le mal ?). Par contre l’Homme, lui, peut s’en servir pour le meilleur ou pour le pire.
Et effectivement je ne doute pas que certaines entreprises auront d’autres dessein vis à vis de l’IA.
Elles voudront en faire un outil de normalisation, qui formate les réponses à coups de « meilleures pratiques » automatiques, un instrument de paresse intellectuelle, où l’on suit les suggestions sans esprit critique ou encore un substitut au débat, sous prétexte qu’un modèle aurait « déjà la réponse »…
C’est d’ailleurs la direction que peuvent prendre les choses même sans mauvaise pensée mais si on laisse une forme de paresse s’installer (The Impact of Generative AI on Critical Thinking)
Là oui, elle devient un frein. Pas seulement à l’intelligence collective, mais à notre responsabilité collective par rapport à notre travail et sa qualité.
Ce que l’IA peut vraiment changer
Rappelons le : la technologie ne résout aucun problème mais n’est qu’une extension de nous mêmes quand on essaie de le faire (Technology Doesn’t Solve Problems).
L’IA ne tue donc pas l’intelligence collective mais en augmente le potentiel ou en révèle les carences.
Mais pour en tirer le meilleur elle nous demande de repenser et préciser nos dispositifs d’intelligence collective.
Cela passe par clarifier les rôles : qu’est-ce qui relève de l’humain, qu’est-ce qui peut être assisté ?
Elle nous impose de retravailler nos méthodes de collaboration qui devront davantage favoriser la valeur ajoutée humaine que le simple échange d’informations.
Elle va nous obliger à développer notre esprit critique à la fois vis-à-vis des autres, mais aussi vis-à-vis de l’IA elle-même (The rise of the AI manager).
Enfin elle va nous faire réinterroger le sens du travail collectif : pourquoi faire quelque chose à plusieurs, quand ce n’est plus une contrainte mais un choix ?
Conclusion
L’intelligence collective n’est pas en voie de disparition mais plutôt à un point d’inflexion.
C’est à nous de décider si on sombre dans l’illusion d’une collaboration automatisée ou si, au contraire, on s’oriente vers des pratiques plus mûres, plus exigeantes, plus impactantes. Et ça n’est pas l’IA qui le fera à notre place.
Ce qui fait la richesse du collectif, ce n’est pas juste sa capacité à produire un livrable mais sa capacité à faire grandir ceux qui y participent. Et ça, aucune machine ne le fera à notre place.
Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)