Pourquoi on ne peut être que déçus par les réseaux sociaux ?

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Dire qu’il y a aujourd’hui un phénomène de défiance vis à vis des réseaux sociaux est un euphémisme. Ils font peur, inquiètent, voire sont victimes du sentiment de rejet inspiré à tort ou à raison par leurs propriétaires (Un Français sur deux veut un monde sans réseaux sociaux).

Sans vouloir jouer les anciens combattants aigris je ne vous cacherai pas que je fais partie de ceux qui sont largement convaincus que « c’était mieux avant » mais sans croire pour autant aux explications avancées.

Je ne pense pas qu’à un moment donné quelque chose soit arrivé qui les ait fait passer du coté obscur de la force où on ait fait des espaces de non droit mais plutôt à quelque chose d’organique, de quasiment biologique, qui fait qu’un réseau social ne peut que finir mal.

Les réseaux sociaux et la théorie de l’accident de parcours

Pour commencer je ne rejoins pas ceux qui disent que dès le départ les réseaux sociaux étaient inintéressants.

Je pense qu’à ses débuts Twitter était un endroit d’une richesse et d’une bienveillance sans égale et c’est d’ailleurs là que j’ai fait la connaissances de personnes remarquables d’un point de vue professionnel. C’est par la suite que tout est parti de travers.

Facebook était aussi un endroit sympa à ses débuts d’autant plus qu’il a permis, dans ses premiers temps, à beaucoup de personnes qui s’étaient perdu de vue avant l’époque du web dit social de se reconnecter.

Mais je n’oublie pas non plus que l’ancêtre de Facebook, Facemash, lancé en 2003 par Mark Zuckerberg avant d’être fermé par l’université de Harvard n’avait pour autre but que de permettre aux étudiants de voter sur l’apparence physique de leurs camarades à partir de photos volées dans l’annuaire de l’université. Niveau éthique ça dit des choses mais on ne parle pas du réseau en lui-même mais de l’éthique du fondateur.

Aujourd’hui on nous dit Twitter est devenu un espace infréquentable à cause de Musk et sa politique de modération, ce qui est faux : c’était déjà une poubelle depuis longtemps.

On dit aussi que Twitter est devenu ce qu’il est parce trop de monde l’ont rejoint qui ne savent pas se tenir. Faux. Twitter, en devenant mainstream est devenu le reflet de la société.

Que dire de Facebook ? Finalement rien n’a changé depuis les débuts à part les comportements et un certain désamour qui s’est installé avec le temps. Mais le réseau n’y est pour rien, c’est la vie.

Et que dire de Linkedin en train également de devenir une décharge à ciel ouvert (Dis LinkedIn, tu ne te serais pas perdu en route ? et Ma nouvelle hygiène sur Linkedin ? Microsoft ne fait rien pour améliorer les choses, soit, (LinkedIn est cassé mais le réparer ne serait pas si compliqué) mais n’a rien fait pour que ça empire.

Ma théorie sur le cycle de vie des réseaux sociaux

J’ai lancé ce blog en 2005, cela fera 20 ans dans deux semaines et j’ai vu la naissance, l’apogée et le déclin des blogs. Remarquez qu’en fait de déclin je pense plutôt à un retour à la raison et en perdant des auteurs dont la pensée tient en 280 caractères on a certainement gagné en qualité et en sérénité.

J’ai été un des premiers inscrits sur Twitter, sur Facebook quand il s’est ouvert au grand public et dans les premiers utilisateurs français de Linkedin. Et j’ai vu à peu près la même histoire se reproduire.

Une histoire que j’ai fini par théoriser même si j’ai depuis trouvé quelque chose d’encore plus pertinent.

Pour moi les réseaux sociaux suivent ce cycle de vie :

1°) Les débuts, peu de monde, plutôt des précurseurs, on est entre nous et on est bien.

2°) Les précurseurs font venir leurs amis, des gens qui leurs ressemblent et on gagne en engagement sans perdre en qualité.

3°) Tout cela est bien sympathique mais ça n’aide pas le réseau à gagner de l’argent. Mais comme il commence à y avoir du monde les marques commencent à s’inviter dans le jeu et selon l’expression consacrée, l’utilisateur devient le produit.

4°) Comme il y a des marques on commence à voir arriver des influenceurs qui ne viennent pas pour les autres mais pour eux. C’est là où le réseau devient média.

5°) Vous avez les marques, des célébrités naissantes, on en parle de plus en plus, ça devient mainstream, tout le monde veut y être et le réseau devient à l’image de la société : pas brillant.

Ma théorie repose sur le fait qu’à un moment la plateforme doit se monétiser et que l‘arrivée des marques se fait au détriment de l’essence du réseau.

Mais j’ai depuis lu quelque chose de beaucoup plus abouti et réfléchi sur le sujet.

La merdification des plateformes sociales

C’est un concept que l’on doit à Cory Doctorow, qui repose davantage sur des choix économiques et technologiques et que j’ai découvert chez Tritan Nitot (La merdification de Twitter et des plateformes en général).

La merdification suit 5 étapes :

1°) L’économie de l’attention : adopte un modèle basé sur la pub et l’engagement maximal, qui favorise les contenus polarisants et clivants.

2°) Les algorithmes: c’est la fin du fil chronologique, la montée des bulles de filtres qui font perdre à l’utilisateur le contrôle de ce qu’il voit et le début de la désinformation.

3°) La course au like : la validation sociale et narcissisme remplacent la communication authentique.

4°) Bots, trolls et manipulation : on en arrive à l’amplification des conflits et l’instrumentalisation des plateformes à des fins politiques ou économiques.

5°) Désertion ou fragmentation : les utilisateurs se fatiguent et se lassent, des alternatives émergent.

On part d’une plateforme accueillante et bienveillante qui attire du monde mais au fil du temps et de l’accroissement du nombre de membres, les choix sont faits dans l’intérêt de la plateforme, des annonceurs voire de certains lobbys et au détriment des utilisateurs.

Conclusion

Choisissez l’option que vous préférez mais le résultat est le même : les réseaux sociaux deviennent ce qu’ils deviennent non pas parce qu’à un moment une erreur est commise ou un accident arrive mais parce que c’est leur nature d’évoluer ainsi. C’est dans leur ADN dès le premier jour.

En tant qu’utilisateurs on n’a qu’une garantie : on sera déçus dans la durée.

On peut bien sur rêver d’un monde meilleur « où les logiciels travaillent pour les personnes qui les utilisent, et non contre elles » (What We’re Fighting For) mais à moins d’une prise de conscience et quasiment d’une rébellion globale je doute que ça arrive car s’ils se plaignent beaucoup d’utilisateurs se complaisent dans cette situation (Le syndrome de Stockholm digital)

Des Mastodon ou des BlueSky vont ils changer la donne ? A un moment se posera la question de la monétisation et j’ai des doutes sur la viabilité économique des modèles alternatif sauf à faire payer le vrai prix du service aux utilisateurs, ce qui est difficilement acceptable sauf dans le cadre de communautés professionnelles payantes à haute valeur ajoutée.

Image : déception des réseaux sociaux de Song_about_summer via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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