A force on a l’impression que la collaboration est devenue un mot magique, comme le remède à à peu près tous les problèmes. Certains y voient un impératif stratégique, d’autres un levier d’innovation, d’autres le remède à leur manque d’agilité, on la promeut, on l’invoque et parfois même on la décrète mais rien n’y fait : le plus souvent cela ressemble à une promesse creuse, vide de sens.
C’est ainsi que cela fait des dizaines d’années que le sujet du travail collaboratif hante les entreprises sans qu’on arrive vraiment à un résulta satisfaisant dans la plupart des organisations et, ce, pour une excellente raison : on ne collabore pas dans le vide.
La collaboration n’émerge pas que d’une simple volonté, elle s’ancre dans la manière ont on organise le travail, dans la qualité des process et des opérations. Elle ne fonctionne pas sans rigueur.
Mais le fait est qu’on la traite souvent comme une simple question de posture individuelle ou de culture d’entreprise en oubliant qu’elle repose également sur un socle opérationnel.
En bref :
- La collaboration repose sur l’organisation du travail, pas sur la seule volonté individuelle.
- Des processus clairs sont indispensables pour une collaboration efficace.
- Les plateformes sociales n’ont pas suffi à créer une vraie collaboration.
- Le découpage des tâches et des responsabilités structure la collaboration.
- Sans design opérationnel, la culture collaborative ne peut s’ancrer.
La collaboration est bien plus qu’une affaire de soft skills
On présente souvent la collaboration comme une compétence humaine fondée sur l’écoute des autres, l’empathie, l’ouverture. Ce sont effectivement des qualités nécessaires mais elles ne sont pas suffisantes.
L’expérience montre que les environnements qui favorisent une collaboration efficace vont bien au-delà des qualités individuelles. Si la collaboration améliore la productivité elle suppose des règles du jeu claires : qui fait quoi, avec quel degré d’autonomie et avec quels outils.
Dans les faits, la « bonne volonté » des collaborateurs ne compense jamais l’absence de clarté dans les opérations et une collaboration efficace n’est pas le produit spontané des compétences humaines mais de l’organisation du travail.
Processus et opérations : amplificateurs ou freins à la collaboration ?
Les entreprises oublient parfois que les process ne sont que les rails sur lesquels le train de la collaboration circule. Pire elles pensent que les gens vont s’extraire des process pour collaborer et que la collaboration est un bon moyen d’améliorer les choses sans avoir à repenser les process.
Mais le fait est que lorsque les workflows ne sont pas clairs, les responsabilités sont floues et les décisions souvent plus lentes. Dans ce cas la collaboration se grippe, quand bien même les gens sont motivés. Mais à l’inverse des opérations bien conçues permettent aux équipes de coopérer presque naturellement, sans surcharge cognitive inutile.
Il y a bien sur des cas où la collaboration permet de compenser la médiocrité des process et de l’organisation du travail mais ça n’est pas une situation qui doit être durable. Quand une entreprise voit que grâce à un effort collaboratif les salariés ont compensé de mauvais process elle ne doit pas se dire qu’elle a réussi et que les choses peuvent durer ainsi : au contraire elle doit exploiter cette intelligence collective pour améliorer le process dans une sorte de démarche d’amélioration continue (Améliorer le travail d’une équipe : histoire d’une amélioration continue).
L’engagement des collaborateurs n’est pas et ne doit pas être la solution à une organisation du travail inadéquate, d’ailleurs c’est un facteur clé d’expérience employé (Baromètre 2023 de l’expérience collaborateur : l’expérience employé face à ses contradictions) et laisser une telle situation perdurer ne mène qu’à la fatigue et au désengagement.
Imaginons un lancement de produit. Si les jalons sont mal définis, les dépendances entre équipes floues, et les circuits de validation trop lourds, il devient impossible de collaborer efficacement, même avec les meilleurs talents et outils. Le projet accumulera retards, tensions et démotivation. A l’inverse, un processus simple avec un brief clair des validations rapides et des rôles précis, permet une collaboration plus fluide. Encore une fois, sauf cas exceptionnel, le temps passé à se battre individuellemet contre le process n’est pas passé à collaborer ensemble et lorsque cela arrive on collabore pour contourner et réparer le process de manière adhoc et provisioire, pas pour faire avancer les choses.
Pourquoi la « collaboration émergente » et la « collaboration sociale » n’ont pas tenu leurs promesses
Dans les années 2010, l’essor des réseaux sociaux d’entreprise et des plateformes collaboratives a nourri l’idée d’une collaboration émergente, où les échanges spontanés, les croisements d’expertises et les contributions organiques allaient naturellement booster l’innovation et l’efficacité.
Dans la réalité cette promesse n’a pas été tenue.
L’expérience de nombreuses entreprises avec des plateformes comme Yammer ou Jive l’a montré : la majorité des collaborateurs n’utilisait pas ces outils de manière régulière ou productive. L’engagement restait concentré entre quelques individus très actifs. Rappelons à toutes fins utiles que ans la plupart des cas, 20 % à 35 % de la valeur ajoutée provenant de la collaboration vient 3 % à 5 % des employés (Collaborative Overload).
Et surtout, faute d’un cadrage opérationnel clair et d’une intégration dans les processus métiers, la collaboration dite « émergente » se traduisait souvent par une dispersion des efforts, un bruit informationnel croissant, et une absence d’alignement avec les besoins opérationnels .
Ce relatif échec doit nous rappeler que la collaboration sans objectif précis, sans processus qui l’ancre dans le travail quotidien, reste marginale et décorative. Une collaboration efficace ne jaillit pas spontanément du chaos mais doit être pensée, structurée et intégrée aux opérations courantes.
La collaboration n’est pas hors-sol : elle est enracinée dans l’organisation du travail
Installer un nouvel outil de communication ou multiplier les ateliers de team building ne suffit pas à créer des dynamiques collaboratives. La collaboration prend forme dans la manière dont les tâches sont découpées, dont les décisions sont prises et dont les flux de travail sont organisés.
Elle prend également ses sources dans la manière dont on décide des objectifs et de la manière dont on évalue les gens individuellement et collectivement. Si pour réussir il faut aller contre les autres, s’ils créent une divergence d’intérêt entre les membres d’une équipe voire entre deux équipes supposées travailler ensemble il ne faut pas s’attendre à quoi que ce soit de bon (Dis moi comment tu me mesures, je te dirai comment je me comporterai).
Concrètement, la collaboration repose sur des réponses à des questions simples : comment les équipes savent-elles qu’elles doivent se synchroniser ? Comment les informations circulent-elles ? À quel moment une action individuelle doit elle se muer en action collective ? Comment gère-t-on les conflits ou les arbitrages sans blocage ni lourdeur ? Comment est mesurée la réussite de chacun et du groupe ?
Dans le monde du travail d’aujourd’hui mieux vaut peu de règles mais des règles efficaces et un cadre qui permet de faire preuve d’autonomie collective (People Centric Operations : adapter travail et opérations aux travailleurs du savoir) pour s’adapter qu’un carcan qui étouffe l’initiative.
Mais tant que ces éléments ne sont pas explicités et ancrés dans les opérations quotidiennes, la collaboration reste un vœu pieux.
Conclusion
La collaboration n’est pas magique mais est le résultat d’une architecture du travail pensée pour la rendre possible : outils appropriés, processus clairs, opérations fluides, et soft skills adaptés.
C’est ce qui permet de passer de la bonne intention à l’impact.
Trop d’entreprises sautent l’étape essentielle du design opérationnel et s’étonnent ensuite que la « culture de collaboration » ne prenne pas mais vouloir collaborer sans repenser les processus et les opérations, c’est vouloir construire une maison sans fondations.
Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)