Le manager minimaliste : un modèle prometteur mais à clarifier

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Alors que l’IA générative déferle dans l’entreprise, l’Observatoire des transformations managériales du Cnam nous propose sa vision du manager qui sera performant dans ce contexte nouveau : le manager minimaliste (Place au « manager minimaliste » à l’ère de l’IA générative). Il sait faire face à la complexité, à la surcharge d’informations et à l’incertitude en se concentrant sur l’essentiel, en exploitant intelligemment l’IA générative, et en se protégeant de la sur-sollicitation.


S’inspirant de l’essentialisme de Greg McKeown, le manager minimaliste ne cherche pas à tout faire ni à tout contrôler mais sélectionne ses actions en fonction de leur impact réel, applique la loi de Pareto (20/80), priorise ses tâches, utilise l’IA pour automatiser ce qui n’est pas essentiel, et se spécialise dans quelques domaines d’expertise plutôt que de rester généraliste.


Une approche qui demande de la discipline car elle va à l’encontre du penchant naturel pour le multitâche mais qui permet au manager de créer plus de valeur, d’orchestrer l’action collective et d’accompagner ses équipes dans l’intégration progressive de l’IA.


Si l’idée me semble pertinente dans sa globalité certains points me laissent pour autant pour le moins dubitatif voire me semblent aller à l’encontre de tendances qui visent à nous faire sortir de certaines ornières RH et managériales dans lesquelles les entreprises sont embourbées depuis fort longtemps.

En bref :

  • Le manager minimaliste se concentre sur l’essentiel, utilise l’IA générative avec discernement et se protège de la surcharge.
  • La spécialisation technique ne garantit pas la compétence managériale, un bon manager structure l’action collective.
  • Se limiter à l’IA générative est réducteur, il faut mobiliser toutes les formes d’IA disponibles.
  • Le minimalisme managérial nécessite une transformation systémique des organisations.
  • L’IA doit renforcer l’humain, le manager veille à un usage équilibré et respectueux.

Le manager qui s’appuie sur l’IA générative est un unijambiste du management

Ca n’était pas ce qui m’a fait réagir au départ mais je ne pouvais pas laisser passer le focus sur l’IA générative. Oui son impact est certain et si on parle d’IA aujourd’hui alors que c’est une technologie déjà ancienne déjà à utilisée avec succès dans de nombreux domaines c’est parce que l’IA générative avec ses cas d’usages faciles à appréhender dans le quotidien pour n’importe qui en constitue la tête de gondole qui a fait d’un sujet technique un sujet de société.

Mais il n’y a pas que l’IA générative dans la vie, loin de là (L’IA pour les nuls qui veulent y voir un peu plus clair) et ne regarder qu’elle on risque de passer à côté de nombreux cas d’usages. Un manager a besoin de multiples formes d’IA pour différents besoins et la myopie ambiante qui nous ramène systématiquement à l’IA générative commence à devenir énervante et peut nous faire passer à côté de nombreux gisements de valeur.

Expertise technique ≠ compétence managériale

C’est le point qui m’a vraiment fait tiquer : « Aujourd’hui, cette posture généraliste s’efface au profit d’un retour de l’expertise« .

On le sait, on le répète et on s’en plains depuis des années, dans le monde de l’entreprise mais pas uniquement (Reinventing the Leader Selection Process) promouvoir la compétence technique n’a jamais suffi à faire de bons managers. C’est même plutôt l’inverse : élever des experts au management sans qu’ils soient préparés à leur véritable mission, qui est de créer un cadre pour la réussite collective, de faire grandir les autres, d’orchestrer sans faire à la place est voué à l’échec.

Pour y avoir été fréquemment confronté, les « managers experts » sont le plus souvent des catastrophes ambulantes et je vous renvoie à cet excellent billet d’Olivier Zara si vous en cherchez la confirmation (Manager en posture de manager… ou d’expert ?).

« les qualités nécessaires pour devenir un bon expert sont quasiment à l’opposé des qualités requises pour devenir un bon manager.

Pour aggraver les choses, les organisations ne veulent pas perdre l’expertise des personnes nommées managers. On leur demande donc d’être à la fois expert et manager.« 

A quoi j’ajoute que quand on leur demande pas on gagne souvent un mauvais manager en perdant un bon expert sur le terrain.

Et je vais même ajouter une chose c’est que, justement, alors que l’IA va prendre une importance croissante dans l’opérationnel on va demander aux managers de devenir des…managers (Avec l’IA, la fin des « doers »).

A l’inverse de ce que je lis donc çà et là, c’est justement parce que notre monde devient de plus en plus technologique que les « soft skills » ou « compétences non techniques vont devenir au moins aussi importantes que les « hard skills » pour réussir (Let’s stop calling them ‘soft skills.’ They’re the hardest ones to master) soit parce que votre métier sera fondé sur des compétences humaines soit parce qu’elles vous seront indispensables pour valoriser vos compétences techniques.

J’entends bien que le manager minimaliste applique la loi de Paretto et priorise ses taches en fonction de leur impact mais je vois bien le risque d’accentuer une dérive bien connue avec des managers piégés dans l’opérationnel parce qu’ils excellent techniquement, mais incapables de construire une équipe autonome et performante

Être un « manager minimaliste » ne devrait pas signifier être un « super spécialiste » qui fait mieux que les autres. Cela devrait plutôt vouloir dire être une sorte de stratège de la simplicité : quelqu’un qui choisit où concentrer les efforts collectifs, qui donne un cap clair, qui structure l’action autour de priorités solides, et qui utilise à bon escient l’IA pour libérer l’initiative et la créativité de ses équipes.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : bien sûr un manager doit comprendre ce qui se passe, ce que font les gens et comment afin de sans cesse améliorer l’organisation du travail, supprimer les irritants etc (Le manager est le responsable de tout ce qui ne va pas). Mais entre comprendre et être expert il y a un fossé.

Un changement individuel ne suffira pas : la transformation doit être systémique

Ensuite, il me semble réducteur de présenter cette posture comme une simple évolution individuelle.

Aucun manager ne peut durablement appliquer un minimalisme efficace dans une organisation qui continue de valoriser l’hyperactivité, la dispersion et qui se fait une joie de sans cesse compliquer les choses (La complication organisationnelle : irritant #1 de l’expérience employé et Smart Simplicity : 6 règles pour gérer la complexité sans devenir compliqué).

Il ne suffit pas de dire aux managers d’être minimalistes : il faut aussi transformer le système dans lequel ils évoluent car quand les choses se ne passent pas bien c’est en général plus dû au système qu’aux gens (The Problem Isn’t the Employee, It’s the System).

Cela demande une révision profonde des attentes, des métriques de performance et des modes de collaboration.

IA et humanisme : quel équilibre ?

Enfin, il me semble essentiel de garder une vision humaniste de l’adoption de l’IA. Bien utilisée, l’IA peut effectivement décharger les managers de nombreuses tâches parasites. Mais elle ne doit jamais devenir une façon de déshumaniser la relation au travail. Le manager minimaliste devrait être le garant de cet équilibre : utiliser l’IA pour augmenter l’humain, pas pour le diluer.

Conclusion

Le concept de « manager minimaliste » est une piste sérieuse et utile. Mais pour qu’il soit crédible et ait un impact, il doit être clarifié :

Il ne s’agit pas de devenir un meilleur spécialiste, mais un meilleur chef d’orchestre.

Il ne s’agit pas d’une simple posture individuelle, mais d’une transformation systémique.

Il ne s’agit pas de réduire l’humain, mais de le libérer.

Le vrai minimalisme managérial est au service de la valeur, de l’impact collectif, et de la création de sens à condition de ne pas se tromper de cible.

Illustration : générée par IA via ChatGPT.

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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