Que veulent vraiment les géants de l’IA ?

-

Tout le monde parle d’eux, ils sont au centre des attentionnés on utilise de plus en plus massivement leurs produits mais finalement on les connait peu et on se demande quelles sont leurs intentions. Sait-on vraiment ce que cherchent à accomplir les géants de l’IA comme OpenAI, Microsoft, Google, Meta, Amazon ou Anthropic ?

Parfois on peut même se demander s’ils le savent eux-même où s’ils échafaudent leur stratégie en avançant et découvrant eux-mêmes la puissance de ce qu’ils sont en train de construire. Après tout, comme le disait Sam Altman, le fondateur d’OpenAI, la maison mère de ChatGPT :

« Parce que nous pensions que nous allions devenir un laboratoire de recherche. Nous n’avions littéralement aucune idée que nous allions devenir une entreprise. Notre projet était de publier des articles de recherche. Mais nous n’avions aucun produit, aucun projet de produit, aucun revenu, aucun modèle commercial, aucun plan pour tout cela. » (An Interview with OpenAI CEO Sam Altman About Building a Consumer Tech Company)


Mais au delà des discours sur le progrès, la sécurité, la démocratisation ou la productivité ces technologies ont déjà des impacts sur notre travail, notre rapport l’information, nos décisions, ce qui mérite qu’on se penche un peu sur le sujet.

En bref :

  • Les géants de l’IA veulent devenir l’interface principale de nos usages numériques en intégrant l’IA à tous les outils.
  • Ils visent à terme des systèmes très autonomes, parfois une intelligence générale, sans consensus sur ce que cela implique.
  • L’IA remplace ou transforme déjà des fonctions humaines et remet en cause certains modèles économiques existants.
  • Un modèle publicitaire se profile, soulevant des questions de transparence, de manipulation et de confiance.
  • L’IA n’est pas qu’un enjeu technique, mais un défi de gouvernance et de contrôle.

Dominer la prochaine couche logicielle

Les GAFAM de l’IA veulent s’imposer comme la plateforme de référence pour interagir avec le monde numérique, un peu comme le guichet unique de nos usages numériques.
Peu importe qu’on veuille utiliser un moteur de recherche, réserver un billet d’avion, acheter un produit, utiliser un ERP, écrire un texte et l’outil potentiellement utilisé pour cela on passera par une intelligence artificielle qui ensuite manipulera les outils à notre place.

Pour certains le risque est modéré : dans l’entreprise l’IA ne remplacera pas votre ERP mais deviendra la manière dont vous interagirez avec. Si par contre vous êtes un moteur de recherche, comme Google, vous pouvez par contre vous faire remplacer à terme (Can This A.I.-Powered Search Engine Replace Google? It Has for Me., How AI is changing the rules of web traffic), idem si vous êtes un fournisseur de contenu (Et si l’IA cassait Internet ? Comment les agents transforment la navigation web et son modèle économique).

L’objectif n’est pas simplement de vendre des outils mais donc de devenir le point de passage obligé pour penser, produire, rechercher, résoudre, coder, planifier, acheter...

En attendant plus ? Aujourd’hui ChatGPT s’améliore sur la comparaison de produits, propose des liens d’affiliation, fera bientôt l’achat à votre place mais qui l’empêche, après demain, de vouloir se substituer au marchant, à remplacer Amazon comme il essaie de remplacer Google ?

L’enjeu n’est pas tant la largeur de l’empreinte de ces acteurs (leur omniprésence) que sa profondeur future (jusqu’où vont ils aller dans la chaine de valeur).

Ils ne visent pas à vendre un service mais ambitionnent de construire ce qu’on peut appeler un système d’exploitation cognitif, intégré partout : dans nos outils de communication, logiciels de bureautique, outils métier, navigateurs et système d’exploitation.

Approcher une « superintelligence », chacun à sa façon

Certains acteurs, comme OpenAI, DeepMind ou Anthropic, affichent une ambition claire : atteindre une intelligence artificielle générale (AGI) au sujet de personne ne s’accorde ni sur comment la définir ni quand on peut raisonnablement espérer l’atteindre à condition que ça soit possible.

Par contre il semble bien que qu’on ne cesse de baisser la barre à ce sujet de peur de lasser les investisseurs avec un horizon sans cesse repoussé.

Mais d’autres avancent de manière plus pragmatique, une ambition affichée plus mesurée mais dans tous les cas, il ne s’agit plus de créer des assistants spécialisés mais développer des systèmes capables de raisonner, apprendre, planifier et agir dans des environnements complexes, avec une autonomie croissante voire, un jour peut être, totale.

Cette autonomie-là, il ne s’agira pas seulement de la surveiller mais décider qui la contrôle.

Remplacer ou absorber ?

Derrière les agents et assistants IA, une dynamique de substitution est belle et bien en marche.

Les travailleurs du savoir routinier sont les premiers ciblés : rédaction, analyse, reporting, support, programmation simple sont des tâches qui absorbées par l’IA.

Les moteurs de recherche traditionnels voient leur attaqué par les assistants conversationnels, qui court-circuitent la page de résultats et mettent leurs revenus en péril, comme les médias.

Les plateformes SaaS pourraient se voir désintermédiées par des IA intégrées directement dans les OS ou les suites de productivité. Leur survie n’est pas en cause mais ils seront de moins visibles ce qui n’est peut être pas un mal en terme d’expérience utilisateur. Elles ripostent en proposant leur propre IA, leurs propres agents conversationnels mais ne règlent pas, à quelques exceptions près (Workday Salesforce Partnership: Teaming Up For Enterprise AI), la question centrale de l’intéropérabilité de données quelles enferment dans leur propre silo.

Les fonctions support externalisées (SAV, modération, transcription) sont peu à peu automatisées.

Et demain, ce seront peut-être certaines fonctions managériales intermédiaires dont la valeur perçue se réduira à un rôle que l’IA pourra orchestrer.

Remplacer l’humain n’est peut être pas toujours l’ambition de ces plateformes au départ mais c’est le seul argument marketing entendable par les entreprises pour acheter le produit quand bien même certains soutiennent qu’on utilise les IA sur les mauvais use cases et qu’à la fin les gains en croissance et productivité seront plus faibles qu’escomptés (Daron Acemoglu: What do we know about the economics of AI?).

Une bascule vers un modèle publicitaire ?

Bien sur se pose pour ces acteurs la question d’un modèle publicitaire qui a fait le succès de leurs prédécesseurs. Vous savez le célèbre « si c’est gratuit c’est que vous êtes le produit« .

Certains y sont déjà, d’autres y pensent mais tous seront tentés.

Google teste des résultats sponsorisés dans ses IA conversationnelles. Meta injecte de l’IA dans ses messageries et ses lunettes connectées, OpenAI propose des liens d’affiliation.

En la matière le pragmatisme (économique) fera force de loi au delà des considérations éthiques. Pour en revenir à l’interview de Sam Altman il nous dit :

« Je suis plus enthousiaste à l’idée de trouver comment faire payer cher aux gens un excellent logiciel d’ingénierie automatisée ou un autre type d’agent que de gagner quelques centimes avec un modèle basé sur la publicité. »

Mais, toujours à propos de la publicité

« Je n’espère pas. Je ne suis pas contre. S’il y a une bonne raison de le faire, je ne suis pas dogmatique à ce sujet. Mais notre activité de vente d’abonnements fonctionne très bien.« 

A chacun de comprendre ce qu’il veut.

Le modèle publicitaire appliqué à l’IA pose en effet nombre de questions :

Contamination de la réponse : si la réponse de l’IA est influencée par un sponsor, comment le savoir ?

Manipulation douce : l’IA devient un levier d’influence algorithmique invisible.

Appauvrissement cognitif : à force de privilégier ce qui se vend, on néglige ce qui enrichit intellectuellement.

Perte de confiance : si l’IA devient un outil de persuasion, elle cesse d’être un outil d’aide.

Et surtout : à partir de quand l’IA ne répond plus à une question, mais nous vend une intention dans le but d’influencer nos décisions ? (AI could map and manipulate our desires, say Cambridge researchers)

Ce que tout cela nous dit en creux

L’IA n’est pas une technologie comme les autres et plus que jamais son enjeu n’est pas que technologique mais structurel, stratégique et culturel.

L’IA devient donc une infrastructure invisible qui incarne plus que jamais la phrase de Nicholas Negroponte selon laquelle « L’informatique n’est plus une question d’ordinateurs. C’est vivre.  » Ce qui rend le sujet encore plus sensible car on peut penser que qui contrôlera l’IA contrôlera nos vies au fur et à mesure que l’IA deviendra l’interface par défaut entre nous et l’information, le savoir, et l’action.

Le vrai sujet ne sera pas l’innovation, mais l’usage, l’adoption, le contrôle et la gouvernance.

Conclusion

L’IA n’est pas qu’un sujet technique ou RH. C’est un sujet de design organisationnel, de souveraineté cognitive et logiquement choix collectifs.

À court terme, les géants de l’IA veulent capter notre attention, notre temps et nos données, et à moyen terme la grille de lecture par laquelle nous interprétons le réel.
Et à long terme ? Peut-être qu’ils ne le savent pas encore eux-mêmes mais peut être que les laisser en décider n’est pas la meilleure option.

Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
You don’t speak french ? No matter ! The english version of this blog is one click away.
1,743FansJ'aime
11,559SuiveursSuivre
26AbonnésS'abonner

Récent