Les « wrappers » sont des entreprises qui encapsulent une technologie provenant d’une autre entreprise dans leur produit pour l’adapter à un contexte métier précis et ainsi la rendre plus facilement vendable avec une proposition de valeur claire. Aujourd’hui ils semblent tirer leur épingle du jeu dans l’économie de l’IA générative en captant les budgets et, surtout, la valeur.
Ils ne construisent aucun modèle, ne les entrainent pas mais ce sont eux qui vendent des produits au plus près des besoin métier. Ils démontrent un ROI là où les deeptech ne vendent encore que de la promesse.
Mais si on y regarde de plus près cela suscite quelques inquiétudes. J’ai déjà dit que les wrappers s’intercalaient entre des deeptechs dont on a du mal de voir comment ils seront rentables un jour et les clients et captent ainsi l’essentiel de la valeur ajoutée du marché (L’IA vers une impasse économique ?). Je ne vais pas dire qu’elles vivent comme des parasites sur le dos des deeptech, d’autant plus qu’elles leur apportent des revenus substantiels mais on ne peut nier qu’elles se portent financièrement mieux que ces dernières sans avoir à supporter la lourdeur des investissements.
Mais que se se passerait il si ce modèle finissait pas fragiliser les deeptech au point qu’elles tombent ? Autrement dit : les wrappers peuvent-ils survivre si la techno qui les soutient n’évolue plus ou disparaît ?
En bref :
- Les wrappers adaptent des modèles d’IA existants à des besoins métier et captent l’essentiel de la valeur.
- Ils dépendent entièrement de deeptechs coûteuses et peu rentables, ce qui fragilise leur modèle.
- Un effondrement des deeptechs menacerait toute la chaîne d’applications.
- Des solutions existent : intégration verticale, open source, partage de valeur ou infrastructures mutualisées.
- L’écosystème IA devra se rééquilibrer pour devenir durable.
Un fragile modèle de dépendance
Aujoud’hui beaucoup de startups IA, souvent qualifiées de « powered by AI » ne font qu’intégrer un ou plusieurs modèles fournis par OpenAI, Anthropic, Google ou Mistral. Leur produit repose sur un accès API et elles vendent une valeur perçue métier, mais dépendent entièrement d’une infrastructure qu’elles ne contrôlent pas.
On a donc un modèle économique asymétrique où a deeptech investit massivement en R&D, en infrastructures, en conformité pendant que le wrapper capitalise sur l’usage, la distribution et capte le feedback utilisateur pour améliorer son produit. Un utilisateur ou un client que la deeptech ne connait pas et auquel elle ne parlera jamais.
C’est soutenable tant que les deeptech survivent mais à ce jour aucune n’a démontré sa viabilité économique. Les coûts d’entraînement explosent, les modèles s’empilent mais les promesses de monétisation tardent à se concrétiser. Aujourd’hui de plus en plus de voix s’élèvent pour dire que la question n’est plus de savoir « si », mais « quand » le système atteindra ses limites.
Vers un effondrement en chaîne ?
Si un ou plusieurs acteurs venaient à ralentir, pivoter ou disparaître, c’est toute la chaîne de valeur avale qui serait touchée.
Et contrairement aux discours marketing, très peu de wrappers ont aujourd’hui une alternative sérieuse à l’utilisation de ces modèles propriétaires. Le scénario d’un « crash des deeptechs » provoquerait donc, par ricochet, un effondrement massif d’applications métier dépendantes de ces infrastructures, un effondrement paradoxalement dû au fait que ces mêmes wrappers interceptent une grande partie de la valeur mais peuvent scier la branche sur laquelle ils sont assis en même temps qu’ils construisent leur rentabilité.
Comment sortir du piège ?
Cette dépendance systémique n’est pas une fatalité et plusieurs scénarios existent pour éviter que le château de cartes ne s’effondre mais encore faudra-t-il les activer avant qu’il ne soit trop tard.
Il y a d’abord l’intégration verticale.
Certains wrappers vont chercher à internaliser leurs propres modèles, même plus petits ou spécialisés, pour sécuriser leur stack, d’autres vont tisser des partenariats stratégiques ou exclusifs avec une deeptech mais ça n’est pas une garantie si la deeptech vient à péricliter.
Dans les deux cas, il s’agit de reprendre le contrôle sur les fondattions pour stabiliser le modèle économique.
On peut ensuite penser à des accords de partage de valeur.
Un nouveau modèle économique peut émerger entre les producteurs de modèles et ceux qui les exploitent. Cela peut passer par des accords de revenue sharing, de l’equity croisée, ou une tarification plus alignée sur la valeur réellement captée afin que la croissance de l’un ne se fasse pas au détriment du futur de l’autre.
Sans cela, les deeptechs continueront à alimenter, à perte, des usages sur lesquels elles n’ont aucun levier économique.
On a également la transition vers des modèles open source plus frugaux, de type Deepseek.
L’émergence d’alternatives open source performantes et plus légères peut redonner de l’oxygène à la chaîne. Elles permettent au wrapper d’acquérir une indépendance technique et économique mais au prix d’efforts d’intégration plus importants.
Enfin on a la coopétition ou mutualisation.
Il faudra peut-être imaginer des infrastructures collectives, financées par des coalitions d’acteurs ou des fonds publics, pour garantir une base technologique stable, ouverte, indépendante. Après tout si les états considèrent l’IA comme un sujet stratégique de souveraineté on peut les imaginer soutenir la deeptech de cette manière pour permettre la survie de tout l’écosystème qui repose dessus.
Conclusion
L’illusion d’un écosystème où tout le monde peut bâtir sur des API IA sans se soucier de leur pérennité n’est pas tenable à moyen terme.
Les wrappers captent la valeur aujourd’hui, mais reposent sur des fondations trop fragiles pour garantir une croissance pérenne. A terme, il faudra choisir entre intégrer verticalement pour contrôler la techno, rééquilibrer la chaîne de valeur ou construire une nouvelle infrastructure partagée.
L’économie de l’IA ne peut pas reposer uniquement sur une sous-traitance de modèles et, comme toute industrie, elle devra trouver un équilibre techniques et économique voire politique si elle veut durer.
Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)