IA : et si le pire était désirable pour certains ?

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L’intelligence artificielle permet de transformer le travail à tel point qu’il pourrait même disparaitre. D’aucuns imaginent un monde où les machines produisent et où les humains n’ont plus rien à faire de leurs journées que se divertir et apprendre pour le plaisir d’apprendre.

Un monde parfait ? Je fais partie de ceux que le sujet laisse dubitatif.

Les gens vont ils vraiment avoir envie d’apprendre si ça n’a aucun intérêt et utilité autre que les garder occupés ?

Comment remplacer quelque chose d’aussi structurant que le travail dans la vie d’une personne, dans ses rapports sociaux, dans la manière dont elle se définit pour elle-même et par rapport aux autres ?

Si le loisir n’est plus la récompense du travail a-t-il encore un sens ?

Qu’allons nous devenir dans un monde où nos capacités cognitives et intellectuelles ne seraient plus stimulées et utilisées (IA au bureau : éviter l’effet Wall-E).

Quel but se donner alors ?

Le problème n’est pas ici la technologie, mais ce qu’elle efface : le travail comme pilier de la vie, comme vecteur de sens.

Mais plus je creuse, plus une autre question apparait : et si ce que je considère comme le pire était en réalité un rêve pour d’autres. Car c’est aussi une position que j’entends de la part de gens qui ne demanderaient pas mieux que d’être libérés du besoin de travailler pour profiter de la vie.

En bref :

  • L’intelligence artificielle remet en question le rôle central du travail, qui structure les vies, forge l’identité et donne un sentiment d’utilité sociale.
  • Un monde sans travail peut évoquer, selon les individus, soit une libération propice à l’apprentissage et à la créativité, soit un vide existentiel et une perte de repères.
  • Cette société du loisir permanent interroge notre capacité à vivre sans cadre imposé, sans objectif prescrit, en assumant pleinement nos choix et nos désirs.
  • Le revenu universel, souvent proposé comme solution, porte une rupture idéologique forte, remettant en cause le salariat, le mérite et la logique de compétition.
  • Plus qu’une révolution technologique, c’est une transformation sociale majeure qui s’annonce, fondée non sur un but imposé, mais sur le sens que chacun donne à sa propre vie.

Le travail est il un pilier universel ?

J’ai comme, je pense, la plupart d’entre vous grandi avec l’idée que le travail structure la vie. Il rythme nos journées, nous donne une place dans la société, construit une identité et est le principal vecteur de reconnaissance, d’utilité, parfois même de fierté.

Mais il faut reconnaitre que cela n’a pas toujours été le cas, c’est une construction historique. ans d’autres époques, dans d’autres cultures, on a vécu sans ce type de rapport au travail. Et aujourd’hui encore, pour certains, le travail n’a rien de gratifiant : il est subi, répétitif, usant. Il n’est ni une passion, ni une mission, juste un moyen de subsistance.

Pour ces gens imaginer un monde sans travail n’est effectivement pas un cauchemar, c’est même presque un soulagement et où nous voyons la perte d’une vocation d’autre se verraient libérés d’un carcan.

Apprendre et se divertir : luxe ou projet de société ?

Si j’essaie de me projeter dans ce monde post-travail, deux options s’offrent à moi : apprendre et me divertir (L’objectif du futur est le plein chômage, comme cela on pourra jouer. (Arthur C. Clarke).). Et je doute que cela suffise à m’occuper une vie entière, à me stimuler, à m’aider à me projeter.

Mais on peut me rétorquer que je regarde les choses avec mes lunettes actuelles. Dans nos sociétés, apprendre est souvent contraint : pour passer un diplôme, pour décrocher un emploi, pour prouver sa compétence. Se divertir est une pause temporaire entre deux séquences de travail.

Si on était libérés du besoin de produire pour survivre, que deviendraient ces activités ? Certains nous promettent qu’on verra-t émerger de nouvelles formes d’expression, de collaboration, de savoir. Après tout, les communautés open source, les makers, les contributeurs de Wikipédia ou les bénévoles montrent déjà qu’on peut créer, apprendre, transmettre sans attendre de retour matériel immédiat.

Mais peut être est-ce aussi parce qu’ils ont ou ont eu ce retour matériel par ailleurs et qu’ils recherchent autre chose et que si ils perdaient ce retour ils reviendraient aux fondamentaux.

Peut on n’apprendre que pour le plaisir ? Je suis convaincu que oui mais que cela ne concerne qu’une infime part de la population

La peur d’être face à soi-même

Il y a peut-être une autre raison pour laquelle ce monde dérange : l’absence de contrainte. Le travail impose un cadre, une discipline, des objectifs, des repères. Il structure le temps et permet de répondre à la question « qu’est-ce que tu fais dans la vie ? « .

Sans travail, il peut ne rester que le vide et ce vide nous confronte à nous-mêmes, à nos envies profonds, nos peurs, à nos contradictions. À la nécessité de choisir ce qu’ont veut être plutôt qu’attendre que le système nous mette dans une case.

Certains y verront un vertige et d’autres, peut être, une opportunité. Les courants qui valorisent le ralentissement, la frugalité ne cessent de gagner du terrain, en tout cas c’est ce qu’on nous dit.

Certains voient la liberté dans le fait de choisir leur métier, d’autres dans le fait de ne pas en avoir.

Le confort de l’irresponsabilité

Mais il faut aussi être honnête : certains voient certainement quelque chose de profondément séduisant dans cette société du loisir permanent.

Moins de pression, moins de décisions difficiles, plus besoin de faire ses preuves, de mériter sa place. Plus besoin d’avoir une utilité. On peut exister sans avoir à justifier sa valeur.

On peut en effet y voir une société qui déresponsabilise. Mais pour d’autres c’est peut être une société qui apaise en libérant des impératifs de performance, de réussite, de productivité. Elle permet de vivre sans se battre et de ne rien rater, puisqu’il n’y a plus rien à gagner.

Régression et renoncement pour les uns, sagesse et paix pour les autres.


C’est surement difficile à admettre pour la plupart d’entre nous mais la responsabilité, l’effort, le sens ne sont pas toujours des besoins universels.

Une société de loisirs… et de docilité ?

Si l’idée d’un monde sans travail peut faire rêver, elle pose aussi une autre question, plus politique cette fois : que devient une société où les individus ne sont plus poussés à apprendre, à se dépasser, à exercer leur esprit critique ?

Le travail, aussi imparfait soit-il, nous confronte à des problèmes, des contraintes, des interactions, nous oblige à comprendre le monde, à évoluer, à nous positionner. Dans un monde de loisirs permanents, d’expériences confortables et sans friction où l’on ne prend plus aucune décision dont on devrait assumer les conséquences cette tension disparaît.

Avec elle, peut-être, disparaîtra aussi une part de ce qui fait de nous des êtres humains : le doute, l’inconfort, la capacité à dire non.

Un peuple désengagé, absorbé dans ses loisirs, qui n’apprend plus, ne conteste plus, ne pense plus vraiment est infiniment plus facile à contrôler.


A ce stade technologie pourrait alors ne pas nous libérer, mais nous neutraliser.

Pas une sorte de dystopie orwellienne reposant sur la peur mais une dystopie douce anesthésiante, une servitude volontaire 4.0, où l’on échange la liberté contre le divertissement et le sens contre le confort.

Le financement : utopie égalitaire ou cheval de Troie idéologique ?

Reste une question cruciale : comment finance-t-on une société sans travail ?


La réponse la plus fréquemment avancée est celle d’un revenu universel, distribué à chacun indépendamment de son activité, de sa contribution, de son statut.

Sur le papier, c’est séduisant et certains y voient une avancée égalitaire : plus de pauvreté extrême, une liberté nouvelle de choisir sa vie, d’échapper aux emplois pénibles ou inutiles.

Une vision porte en elle quelque chose de plus profond car elle remet au goût du jour des idées politiques qu’on croyait reléguées à la marge comme l’abolition du salariat, la critique du mérite comme fondement de la répartition des richesses, le rejet de la compétition comme moteur social.

En bref une rupture radicale avec les fondements des sociétés libérales modernes.

Il n’est donc pas surprenant que les défenseurs de cette vision y voient une opportunité historique. Pour eux, l’IA ne signe pas seulement la fin du travail mais signe aussi la revanche d’un vieux rêve politique : celui d’une société post-capitaliste fondée sur le partage, et non sur l’échange et le commerce.

On peut y adhérer ou s’en méfier mais il serait naïf de croire que cette transition serait neutre, purement technique car elle est également idéologique.

Faut-il forcément un but ?

Mais pour revenir à l’interrogation, voire la peur de base, le sujet est de savoir si, sans travail, nous aurons encore un but dans la vie et, dans tous les cas, comment financer cette vie. Le travail occupait cette fonction et était la réponse par défaut à laquelle il faudrait, dans cette hypothèse, trouver une alternative.

Mais faut-il forcément un but ? Et faut-il que ce but soit prescrit ? Par qui ? Par la société, l’école, le marché ?

A chacun sa réponse mais elle ne sera pas neutre.

Conclusion

Je ne sais pas si ce monde arrivera et je ne sais pas s’il est souhaitable, je suis même à peu près sur que non. De toute manière si cela devait arriver, personne me demandera mon avis et le votre non plus.

Ce que je pense par contre c’est que nous ne pouvons pas envisager ce monde futur avec les lunettes du présent. Nos repères, nos attentes, nos croyances sont façonnés par un monde du travail que l’IA est justement en train de bousculer pour ne pas dire plus.

Ce certains d’entre vous vivrons comme une perte pourrait être vécu par d’autres comme une délivrance et peut-être que c’est la vraie rupture : non pas une révolution technologique, mais une révolution sociale qui repose sur le sens et non le but qu’on donne à sa vie.

Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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