Gouvernance d’entreprise : la modernité comme un cache misère

-

Alors que les entreprises sont de plus en plus scrutées par rapport à leur impact sociétal et environnemental, presque toutes affichent des initiatives supposées prouver leur engagement telles que des comités d’éthique, des chartes d’engagement, des labels ESG, des engagements de toutes sorties.

La gouvernance semble se transformer, en tout cas sur le papier. Mais dans les faits beaucoup de ces dispositifs sont critiqués pour n’être qu’une opération de cosmétique sans réelle volonté de changement profond. On leur reproche de donner l’illusion du mouvement sans pour autant modifier les rapports de pouvoir, la réalité des pratiques et la manière dont se font les arbitrages.

Dans ce quatrième article nous allons donc explorer les fausses bonnes solutions qui, paradoxalement (ou logiquement ?) la gouvernance d’entreprise.

En bref :

  • De nombreuses entreprises mettent en place des dispositifs éthiques et RSE qui relèvent davantage d’une stratégie d’image que d’une volonté réelle de transformation des pratiques de gouvernance.
  • Les outils et labels ESG sont souvent utilisés à des fins de communication, sans impact concret sur les arbitrages stratégiques ni sur la manière dont les décisions sont prises.
  • Les démarches d’inclusion et de participation ne s’accompagnent généralement pas d’une redistribution du pouvoir, ce qui limite leur effet à une consultation sans influence réelle.
  • La multiplication de comités thématiques sans mandat clair ni pouvoir décisionnel constitue une stratégie défensive visant à temporiser plutôt qu’à agir.
  • Ce décalage entre discours et action alimente la défiance des parties prenantes et affaiblit la légitimité même de la gouvernance d’entreprise.

Des dispositifs qui décorent plus qu’ils ne transforment

La gouvernance s’est dotée, ces dernières années, d’un impressionnant arsenal pour faire face aux attentes croissantes des parties prenantes : labels RSE, chartes d’étique et de diversité, politiques climatiques, baromètres d’engagement.

Le moins qu’on puisse dire c’est que ces éléments cochent effectivement le plus de cases possibles mais il reste à démontrer qu’ils impactent les mécanismes de décision, ce qui est en fait rarement de cas ou n’est pas perçu comme tel, ce qui en revient à peu près au même.

Prenons l’exemple classique des politiques de diversité. Un objectif chiffré est affiché, un comité adhoc est créé, des formations sont organisées. Mais dans les faits les processus de recrutement, de promotion, de nomination varient peu. Les décisions les plus importantes continuent à être l’apanage d’un cercle restreint et assez homogène.

Le symbole est là mais la gouvernance ne change pas ou alors à la marge.

L’écran de fumée de l’ESG-washing

Avec des attentes croissantes au sujet des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), beaucoup d’entreprises ont été promptes à réagit. Pas forcément en revoyant les arbitrages mais en investissant dans leur communication.

Des engagements climatiques sans feuille de route claire et sans réel suivi mesuré, des scores ESG sont publiés sans alignement de la rémunération variable des dirigeants (Rémunération des dirigeants : montants records, opacité et ESG absente), les rapports de durabilité est validé dans que la gouvernance n’en face sa boussole stratégique lorsqu’elle établit ses priâtes.

Ce qui était supposé renforcer la responsabilité des entreprises devient un nouveau rituel sans vrai ancrage dans le réel et la gouvernance, supposé être l’endroit où on arbitre entre contraintes et ambitions sacrifie souvent les engagements sur l’autel de l’ambition.

L’inclusion sans redistribution du pouvoir

Il y a une autre tendance forte : l’apparition de gouvernances dites « ouvertes », « participatives » ou « inclusives ». Une inclusion qui ne s’accompagne souvent jamais d’une quelconque forme de pouvoir.

Bien sûr les consultations de salariés ou de parties prenants existent mais n’ont quasiment aucun poids décisionnel. Les retours sont centralisés, analysées puis filtrés au moment de la synthèse. Le désaccord, aussi argumenté et constructif soit il, n’a pas sa place à la table au moment de la décision.

On parle d’intelligence collective mais sans en créer les conditions. On fait de la co-construction sans co-décision.

Un décalage entre les paroles et les actes qui alimente logiquement une forme de défiance et de cynisme car plus elle prétend écouter plus elle expose les limites de ses mécanismes d’intégration.

Des comités pour tout sauf pour décider

L’une des dérives les plus visibles est ce que certains nomment ironiquement la « comitologie défensive ». On parle là d’une dérive de la gouvernance où la création de comités devient une réponse réflexe à des enjeux complexes ou sensibles, non pas pour décider, mais pour se protéger

Pour chaque enjeu on crée un comité : éthique, IA, climat, inclusion, innovation mais dans la majorité des cas, ces comités n’ont pas de mandat clair, ni d’impact réel. Ils produisent des avis, des rapports, parfois se risquent à des recommandations mais les décisions se prennent ailleurs et souvent sans que leur production ne soit lue.

« Si vous voulez enterrer un problèmenommez une commission«  disait Clémenceau il y plus d’un siècle. Cette manoeuvre politique bien connue n’a pas manqué d’inspirer le monde de l’entreprise. Ces structures deviennent des zones tampons, des sas de décontamination, des amortisseurs dont là la vocation est d’apaiser, gagner du temps et montrer que la question est traité. Mais ce faisant on éloigne le sujet de la gouvernance jusqu’à ce qu’on finisse par l’oublier.

La gouvernance renforce la défiance au lieu de la combattre

Si le problème était l’inefficacité de ces dispositifs ce serait un moindre mal car il « suffirait » de les améliorer mais le mal est plus profond et cristallise le décalage entre le discours et les actes.

La gouvernance aime les symboles mais pas changer sa structure ou ses choix. Ce faisant elle nourrit la défiance et sa prévisibilité et son formalisme ne font qu’attiser ce sentiment.

Mais à force de rassurer sans transformer elle fragilise ce qu’elle doit incarner : la confiance dans l’institution.

Conclusion

L’efficacité de la gouvernance ne se mesure pas au nombre de rapports ou de comités mais à sa capacité à produire de la clarté, tirer quelque chose des tensions et décider de manière pertinente dans l’incertitude.

À force de multiplier les gestes symboliques vraiment changer elle prend le risque de la déconnexion définitive avec ses parties prenantes mais aussi avec les intérêts de l’entreprise. Cette dissonance ne se corrigera pas avec un meilleur plan de communication mais avec une refonte des pratiques, des arbitrages, et nécessairement du courage politique dans les organes de gouvernance.

Dans le prochain et dernier article nous allons quitter (enfin) les limites du présent pour essayer d’envisager un meilleur futur et se demander, puisque c’est le sujet qui a motivé cette série, si l’intelligence artificielle peu transformer une gouvernance d’entreprise.

Peut-elle aider à restaurer l’intelligence collective là où elle a disparu ? Peut-elle renforcer la résilience des organisations sans déshumaniser les choix ? Peut elle faire comprendre aux dirigeants qu’avec elle tellement de freins sont levés qu’il devient envisageable de fonctionner autrement pourvu qu’on le veuille ?

Et surtout : comment peut-elle servir la gouvernance… sans la remplacer ?

Dans cette série :

Gouvernance d’entreprise : le mot est à la mode, la réalité beaucoup moins
Pourquoi la gouvernance d’entreprise échoue malgré les bonnes intentions
Une gouvernance d’entreprise conçue pour hier et confrontée aux enjeux d’aujourd’hui
Gouvernance d’entreprise : la modernité comme un cache misère
Gouvernance augmentée : l’IA comme levier de lucidité collective

Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
You don’t speak french ? No matter ! The english version of this blog is one click away.
1,743FansJ'aime
11,559SuiveursSuivre
26AbonnésS'abonner

Récent