La transformation digitale : un exercice souvent inconfortable pour les dirigeants

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Cela fait une dizaine années que les entreprises ont commencé à s’engager dans ce qu’on appelle leur transformation digitale et, pourtant, au delà des discours, sa mise en oeuvre se heurte à de nombreux freins.

Le fait qu’on confonde transformation digitale et transformation guidée par la technologie n’est pas l’un des moindres (Les limites de la transformation guidée par la technologie) mais contrairement à une idée reçue tout ne vient pas uniquement des équipes opérationnelles, des contraintes budgétaires ou de la technologie elle-même.

En effet le frein principale réside parfois, et parfois surtout, au niveau des dirigeants eux-mêmes que le sujet confronte à des remises en causes qui les mène dans une zone d’inconfort.

Un dossier qu’il n’est pas inutile de réouvrir même dix ans plus tard car c’est exactement ce qui est en train de se passer et va se passer avec l’intelligence artificielle, peu importe qu’on pense qu’il s’agisse d’un sujet en soi ou d’une énième étape de la dite transformation digitale.

En bref :

  • La transformation digitale exige un changement de posture des dirigeants, au-delà de la simple technologie.
  • Elle impose aux dirigeants d’acquérir de nouvelles compétences et d’accepter l’incertitude.
  • Les résultats s’inscrivent dans le long terme et nécessitent expérimentation et ajustements.
  • Les modèles organisationnels et les équilibres de pouvoir sont remis en question.
  • Le contrôle managérial évolue vers plus d’autonomie et de gouvernance collective.

Devoir apprendre à nouveau

La première difficulté est que la transformation digitale obligé à apprendre à nouveau. Elle mobilise des concepts, des technologies, des manière de fonctionner voire de penser qui ne sont pas dans le champ d’expertise traditionnelle des dirigeants. C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer qu’ils soient parfois si mauvais lorsqu’il s’agit d’évaluer le potentiel et l’impact d’une technologie (Pourquoi dirigeants et experts commettent il de grossières erreurs quant il faut anticiper l’avenir ?).

A l’opposé de leur position habituelles d’experts et de décideurs ils doivent intégrer des savoirs nouveaux, souvent portés par des profils plus jeunes ou issues d’horizons professionnels différents.

C’est une inversion du rapport à la compétence qui suppose de la curiosité et une certaine capacité à assumer une forme d’inconfort intellectuel.

Prendre du temps

La transformation digitale s’inscrit par ailleurs dans des temporalités longues qui contrastent avec les logiques de court terme qui prévient au sommet des organisations, raison pour laquelle on en surestime systématiquement les bénéfices immédiats (On surestime toujours le changement à venir dans les deux ans, et on sous-estime le changement des dix prochaines années).

Les cycles d’apprentissage, d’expérimentation et d’ajustements successifs rendent en effet toute promesse de résultats rapides difficile à tenir, en tout cas à grande échelle. A cela s’ajoute le fait que les hypothèses de retour sur investissement qui relèvent davantage de la prédiction que de la prévision vont demander de l’empirisme, donc encore une fois du temps long, pour être validées ou affinées, comme on le vite justement avec l’IA en ce moment (AGI, emploi, productivité : le grand bluff des prédictions IA).

Mais quand le contexte fait que la pression sur les résultats est forte, accepter d’investir sur des hypothèses incertaines et un sujet qu’on a du mal de comprendre peut constituer un pari délicat d’un point de vu managérial autant que politique.

Assumer de ne pas savoir

Quand on a assis son autorité sur une posture de sachant tout au long de sa carrière ou, en tout cas, sur sa capacité à prendre les bonnes décisions face à n’importe quel sujet, dire qu’on ne sait pas est vu comme une faiblesse qui fragilise la position du dirigeant.

Mais aujourd’hui personne, quelle que soit son expérience, ne peut revendiquer la maitrise de l’ensemble des enjeux liés à la data, à l’intelligence artificielle, à la cybersécurité, au modèles SaaS ou aux nouvelles logiques d’expérience client.

N’oublions pas qu’il y a moins de 20 ans le discours de la plupart des entreprises était « le cloud ? Jamais chez moi » et j’en ait même étendu dire « votre truc qui fonctionne dans le cloud vous pouvez bien l’installer sur mes serveurs non ? « . Pas qu’ils aient une doctrine claire sur le sujet, mais justement par peur de l’inconnu.

Il faut admettre que la compétence, aujourd’hui, et notamment pour des dirigeants, ne réside plus dans la maitrise de chaque sujet mais dans la capacité à organiser le dialogue entre des expertises diverses et complémentaires, arbitrer malgré l’incertitude et à favoriser une gouvernance collective de ces choix éminemment structurants (Gouvernance augmentée : l’IA comme levier de lucidité collective).

Questionner les modèles établis

Au delà des aspects purement technologiques la transformation digitale remet en question l’organisation du travail et le fonctionnement de l’entreprise et c’est pour cela que j’ai toujours trouvé que la notion de « transformation digitale » était un abus de langage trompeur (Les limites de la transformation guidée par la technologie).

Elle remet en cause des périmètres fonctionnels, des modes de décision, des manières d’appréhender la performance et des équilibres de pouvoir internes qui, bien souvent, ont contribué à construire le parcours et la légitimité des dirigeants en place.

Accepter de revisiter ces sujets implique de faire évoluer non seulement les structures mais aussi la représentation que chacun se fait de son métier et de son rôle dans l’entreprise.

Exposer sa vulnérabilité managériale

Cette dynamique de transformation confronte donc les dirigeants à une forme de vulnérabilité managériale et politique à laquelle ils ne sont pas habitués, dans un système et une gouvernance qui ont d’ailleurs été conçus pour les en protéger.

Prendre des décisions dans des environnements instables, reconnaître ses erreurs, ajuster sa trajectoire en cours de route et s’exposer à la critique deviennent des compétences essentielles alors qu’on a toujours essayé de démontrer l’inverse avec des attributs habituellement associés à la fonction dirigeante qui relèvent de la capacité à trancher, à sécuriser et incarner la stabilité.

Perdre le contrôle apparent

Enfin, le passage à des modes d’organisation plus distribués, adaptatifs, agiles oblige à repenser la notion même de contrôle.

Là où le dirigeant pouvait auparavant valider l’ensemble des décisions critiques, il lui faut désormais poser un cadre clair, déléguer les marges de manœuvre opérationnelles et instaurer des mécanismes de régulation permettant aux équipes de décider au plus près du terrain (Comment aimer le contrôle et ne pas être un poids pour soi et ses équipes ?).

Un déplacement du centre de gravité décisionnel qui ne signifie pas à un abandon du contrôle, mais à une redéfinition de la manière dont on l’exerce et de son objet. A défaut de contrôler les gens il faut apprendre à ne contrôler que le système. C’est plus efficace et scalable mais demande un certain travail sur soi.

Conclusion

En définitive, la transformation digitale constitue avant tout un exercice de maturité managériale, qui demande des qualités de discernement, d’écoute, de remise en question et d’orchestration collective.

Ce n’est pas la technologie qui fait la différence, mais la capacité des dirigeants à créer les conditions pour que l’intelligence collective de l’organisation puisse pleinement s’exprimer et s’ajuster aux enjeux du moment et cela demande aux dirigeants de changer un logiciel avant tout une chose : leur propre logiciel interne.

Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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