Employee Experience Platforms : grande promesse, petit bilan ?

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Le concept d’Employee Experience Platform a été introduit par Josh Bersin début 2019 et a ensuite surfé sur la crise du COVID alors que télétravail devenait la norme. Des éditeurs majeurs tels que Microsoft, ServiceNow ou encore Oracle se le sont appropriés, promettant une révolution de l’expérience collaborateur à travers les outils numériques.

Qu’en est il 5 ans plus tard ?

Le concept semble s’être évaporé. Peu de projets emblématiques, pas de révolution des usages et encore moins d’impact sur le travail au quotidien.

Alors, que reste-t-il de cette idée ? Un mirage de plus dans la longue liste des promesses numériques, ou une intuition encore valide mais mal exécutée ?

En bref :

  • Le concept d’Employee Experience Platform (EXP), né en 2019 et popularisé pendant la crise du COVID, visait à unifier outils et services numériques pour améliorer l’expérience des salariés, mais n’a pas tenu ses promesses.
  • Malgré des initiatives comme Microsoft Viva, les EXP se sont révélées trop centrées sur la technologie, peu adaptées aux réalités opérationnelles et dépourvues de gouvernance cohérente.
  • L’idée d’une plateforme intégrée répondait à des besoins réels (fragmentation des outils, faiblesse des intranets, isolement des collaborateurs), mais son exécution a souvent aggravé ces problèmes.
  • En 2025, le terme EXP a largement disparu, les projets associés n’ayant pas transformé le quotidien des salariés ni trouvé d’ancrage durable dans les organisations.
  • L’échec vient d’une réduction du concept à un produit, alors que l’expérience employé est une démarche systémique qui requiert gouvernance, compréhension fine du travail et transformation organisationnelle.

Une idée née du chaos et d’un vrai besoin

Le terme « Employee Experience Platform » est apparu discrètement début 2019 (The Employee Experience Platform: A New Category Arrives) mais c’est tout au long de la crise du COVID qu’il a pris tout son sens et s’est retrouvé sous les feux de la rampe. Les collaborateurs, isolés, naviguent entre silos, applications cloisonnées et processus mal adaptés à un travail à distance prolongé (Le télétravail : miroir des lacunes de nos organisations). Le besoin d’un espace unifié, contextualisé, personnalisé en un mot, d’un véritable environnement numérique de travail centré sur l’individu devient évident.

C’est dans ce contexte que Josh Bersin théorise l’employee experience platfrom comme une nouvelle couche d’expérience, capable d’orchestrer contenus, interactions, services RH, outils collaboratifs, et données, dans une logique de parcours fluide (Une expérience IT compliquée. Irritant #7 de l’expérience employé). Une sorte de « digital front door » pour le salarié.

Microsoft se saisit rapidement du sujet avec le lancement de Microsoft Viva en 2021, présenté comme la première plateforme d’expérience employé intégrée à Microsoft 365. J’avais à l’époque analysé cette initiative dans deux billets détaillés, soulignant à la fois la rupture annoncée et les ambiguïtés du modèle :

D’autres éditeurs suivront : ServiceNow, Workday, SAP, en rebaptisant ou reconditionnant leurs offres autour du terme d’expérience.

Un concept pertinent mais une exécution bancale

Sur le papier, l’idée est séduisante. Elle fait écho à un consensus :

  • la fragmentation de l’expérience numérique fatigue les collaborateurs,
  • les intranets ne sont plus à la hauteur des usages modernes,
  • les services RH sont souvent dispersés et mal contextualisés,
  • les outils métiers sont empilés sans cohérence.

Mais dans les faits, les Employee Experience Platforms se sont heurtéese à plusieurs écueils :

Au lieu d’unifier l’expérience, ces projets ont parfois ajouté une couche supplémentaire d’interface, sans résoudre les causes premières de l’incohérence numérique.

2025 : disparition en silence

Aujourd’hui, il faut bien le constater : le terme « EXP » a quasiment disparu du discours des éditeurs, et encore plus des préoccupations réelles des entreprises.

Microsoft Viva survit, mais comme une constellation de briques intégrées à Microsoft 365, sans logique d’ensemble claire pour l’utilisateur final.

Les intranets modernisés reviennent à l’avant-plan, avec des solutions comme Powell ou LumApps qui remettent l’accent sur la personnalisation et l’intégration mais sans parler d’EXP.

Le middle management, les équipes support et les collaborateurs en première ligne sont rarement associés à ces projets, qui restent souvent top-down, portés par des sponsors RH ou Com internes déconnectés des usages opérationnels.

Plus fondamentalement, l’expérience employé ne peut être portée par un outil. C’est une dynamique systémique, qui touche à l’organisation, au sens du travail, à la capacité à agir, à décider, à coopérer. Une plateforme peut l’accompagner, mais jamais la remplacer.

Il en est donc advenu de l’EXP comme il en a été des réseaux sociaux d’entreprise : une philosophie vaguement similaire mais globalement les mêmes causes d’échec (Grandeur et décadence des réseaux sociaux d’entreprise).

Conclusion

L’échec relatif des EXP ne tient pas à leur principe, mais à leur réduction à un produit isolé, censé résoudre à lui seul des problèmes profondément organisationnels.

En réalité, l’expérience employé est une dynamique, pas un front-end. C’est une responsabilité distribuée, qui implique des arbitrages, une gouvernance transverse, une compréhension fine du travail tel qu’il est réalisé. Une plateforme peut être un levier, mais pas une réponse en soi. Peut être que la réponse se situe davantage dans les mains d’un chief of work (A-t-on besoin d’un chief of work ?).

Ce constat dépasse d’ailleurs largement le cadre des EXP. Il rejoint les limites que j’ai soulignées récemment à propos de l’IA générative en entreprise : on continue d’ajouter des couches sans oser remettre à plat ce qui dysfonctionne en profondeur. L’IA est présentée comme un « casseur de silos », mais elle risque surtout de devenir une couche de plus dans une IT déjà trop complexe (L’IA générative en entreprise : un casseur de silo ou une couche de plus dans une IT déjà complexe ?). Elle se heure de plus à l’éternel problème de la digital workplace qui est celui de l’interopérabilité (Digital workplace, IA et intéropérabilité : un problème qui reste entier).

Le concept d’EXP n’est pas mort. Il attend juste qu’on le traite avec sérieux : non pas comme un produit à déployer, mais comme un projet de transformation, aligné sur la réalité du travail et les besoins des équipes. C’est à ce prix que l’expérience employé deviendra autre chose qu’un mot-clé marketing.

Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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