L’expérience employé ne sert à rien (si elle n’est pas reliée au business)

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On n’a jamais autant parlé d’expérience employé. Les chief of EX, les baromètres d’engagement, les plateformes d’écoute et indicateurs de bien-être sont partout et pourtant, rarement les salariés se sont sentis aussi peu écoutés, aussi peu outillés pour travailler efficacement, et aussi peu considérés dans les décisions structurantes de leur entreprise.

Comment expliquer cela ? A mon avis parce que l’expérience employé est devenue un sujet RH, au lieu d’être un enjeu de performance collective.

En bref :

  • L’expérience employé est souvent réduite à un sujet RH, éloigné des réalités opérationnelles et peu relié à la performance collective.
  • Les actions menées (onboarding, communication, intranet) sont souvent superficielles et n’améliorent ni les conditions de travail ni l’expérience client.
  • Les problèmes rencontrés par les salariés sont structurels : outils inadaptés, surcharge d’information, processus inefficaces, organisation déficiente.
  • Les RH n’ont pas les leviers nécessaires pour transformer le travail en profondeur, et les rôles comme le Chief of EX restent symboliques.
  • L’expérience employé devrait relever des opérations et du design organisationnel, avec une coordination transversale incarnée, par exemple, par un Chief of Work.

Un sujet trop RH, trop flou, trop éloigné du travail

Comme le disait un article que j’ai lu récemment les initiatives EX sont souvent déconnectées du cœur de l’activité. L’auteur y interroge la pertinence d’un meilleur onboarding ou d’un intranet plus moderne s’ils n’aident pas concrètement les salariés à mieux travailler ni n’améliorent l’expérience client. Autrement dit, on investit dans des effets de surface sans transformer les conditions de réalisation du travail et surtout, on est incapables de mesurer l’impact business de l’expérience employé (How I Stumped A Panel Of EX Experts). Difficile, dans ce contexte, d’être crédible et obtenir des budgets.

On a réduit l’expérience employé à une affaire de communication, de moments clés, voire de mise en scène et on a oublié qu’elle est d’abord le résultat d’un design organisationnel, d’une architecture du travail.

Les irritants de l’expérience employé ne sont pas que psychosociaux : ils sont structurels, tiennent à des outils mal pensés, des processus imparfaits, une surcharge informationnelle constante (Infobésité Numérique : Quand les Outils de Collaboration Dégradent Productivité, QVT et Amplifient la Charge Mentale), une organisation du travail défaillante (De l’expérience employé à l’excellence opérationnelle : des RH pas si outillés ! et Baromètre 2023 de l’expérience collaborateur : l’expérience employé face à ses contradictions), une collaboration inefficace et j’en passe.

L’expérience employé quand elle bien pensée dépasse donc le rôle d’une simple fonction support (L’expérience employé n’est pas une fonction support mais une fonction business…).

Les RH n’ont pas les leviers pour changer l’organisation du travail

Dans les faits, les équipes RH sont rarement en position de transformer en profondeur l’expérience de travail. Elles peuvent l’observer, la mesurer, parfois l’accompagner, mais rarement la reconfigurer. En effet elles ne détiennent ni les outils, ni les processus, ni les décisions qui dictent le quotidien des salariés (L’humain est partout dans l’entreprise mais, dans le travail, les RH ne sont nulle part).

D’ailleurs même chez Moderna dont la réorganisation fait beaucoup parler ces derniers temps (Fusion des RH et de l’IT : Moderna redessine son organisation pour et avec l’IA) on ne sait pas trop qui pilote quoi et si on parle d’orchestration du travail il y a un gros flou quant à sa nature même.

Le Chief of EX n’a pas changé la donne

Face à ce constat, certaines entreprises ont créé un poste de Chief of Employee Experience. Mais ce rôle reste souvent symbolique car il agit en périphérie : il n’oriente pas les flux de travail, ne conçoit pas les outils, ne pilote pas les opérations.

L’expérience employé est pensée comme un produit RH, alors qu’elle est le résultat de décisions organisationnelles. Or, aucune structure ne permet aujourd’hui de relier, de manière intégrée, les objectifs business, les besoins opérationnels et les conditions de travail.

Et si l’expérience employé était une question d’operations ?

L’expérience employé est un sujet de design organisationnel et devrait relever des opérations, au sens large : à savoir la manière dont les entreprises organisent le travail pour produire de la valeur.

On peut même aller plus loin en donnant aux collaborateurs le pouvoir d’influer sur les modes opératoires comme le défend l’approche « people-centric operations », développée par l’INSEAD (Putting People at the Centre of Operations et People Centric Operations : adapter travail et opérations aux travailleurs du savoir)

L’idée est simple : pour que le travail fonctionne, il faut que les salariés puissent s’organiser, résoudre les exceptions, faire circuler l’information, améliorer les processus. L’expérience employé devient alors un effet de l’excellence opérationnelle et pas une démarche à part (L’expérience est le nouveau nom de la qualité et est le fruit de l’excellence opérationnelle).

Le Chief of Work : gadget ou vraie solution ?

C’est dans cette logique que certains imaginent un nouveau rôle : le Chief of Work (Chief of Work: A Modern(a) C‑Suite Role). Mais pour qu’il soit utile, il ne doit pas être un super-RH ou un super-DSI, mais le porteur transversal de la logique de travail, un garant de la cohérence entre les outils, les pratiques, les process, le management et ce que j’appelle de manière plus large le contexte de travail (A-t-on besoin d’un chief of work ?).

Ce n’est pas un nouveau silo mais une fonction d’orchestration.

Conclusion

Tant que l’expérience employé sera traitée comme un produit RH, elle ne changera rien. Pour redevenir un levier de performance, elle doit revenir là où elle naît : dans les opérations et la conception même du travail. Et pour cela, il faudra bien plus qu’un baromètre ou un titre à la mode car l’enjeu est de revoir la manière dont on pense, gouverne et conçoit le travail.

Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI).

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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