Prioriser ses tâches : des méthodes qui ne résolvent pas grand chose

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Dans un monde ou tout est urgent et où la surcharge d’information est la norme on parle beaucoup de priorisation et on en fait même une compétence indispensable à la survie dans le monde du travail d’aujourd’hui.

Mais peut être en parle-t-on même trop et en fait on un mot valise vide de sens qui cache le vrai problème ? Parce que derrière l’exhortation à bien gérer ses priorités on mélange la gestion du temps, les urgences des autres, la surcharge informationnelle qui est un mal collectif et bien d’autres choses.

En fait prioriser ses tâches ou gérer son temps c’est tenter de résoudre à un niveau individuel un mal collectif en sachant donc que dans de nombreux cas les choix que l’on estimera satisfaisants pour soi auront un impact négatif sur les autres.

D’une certaine manière prioriser revient souvent à décider de ce qui compte pour soi parfois au détriment de ce qui compte pour les autres. Pas un acte politique dans l’entreprise mais presque.

En bref :

  • La priorisation est souvent présentée comme une compétence individuelle essentielle, mais elle masque des problèmes collectifs liés à la surcharge d’information, aux injonctions contradictoires et au manque de clarté organisationnelle.
  • Prioriser revient à arbitrer entre ce qui compte pour soi, pour les autres ou pour le collectif, ce qui peut engendrer des tensions dans un environnement où l’urgence est omniprésente.
  • Les méthodes de priorisation (Eisenhower, MoSCoW, ICE/RICE, time boxing inversé, The One Thing) apportent des outils utiles mais ont toutes des limites, notamment lorsqu’elles reposent sur des données incertaines ou ignorent le contexte collectif.
  • Chercher une « bonne méthode » est illusoire si l’organisation reste floue sur les objectifs, empêche de dire non et ne traite pas les causes structurelles de l’hyperconnexion et de la surcharge cognitive.
  • Prioriser ne consiste plus seulement à organiser son travail efficacement, mais à faire des choix assumés dans un système défaillant, souvent sans soutien.

La gestion des priorités : un promesse un peu survenue

Beaucoup confondent priorisation avec ordre d’exécution. On pense qu’il suffit de faire les tâches les plus rapides d’abord, ou les plus faciles, mais c’est une fuite en avant qui ne résout pas grand chose car la question qu’on devrait se poser est : « Quelle est la prochaine action qui a le plus de valeur par rapport à mon objectif ?« 

Cette question, aucun outil ne la tranchera à votre place. En revanche, certaines méthodes peuvent aider à y voir plus clair.

Des méthodes qui ne sont pas sans limites

Il y a pléthore de techniques de gestion des priorités et vous avez surement déjà lu des centaines d’articles sur le sujet mais on va quand même en passer en revue quelques unes.

Mais par contre on parlera également de ce que les articles qui les présentent souvent comme « magiques » oublient : leurs limites.

Matrice d’Eisenhower : l’intuition à deux dimensions

C’est la méthode la plus connue. Elle distingue l’urgence de l’importance. Ce que vous devez faire maintenant n’est pas toujours ce qui aura un impact demain.

  • Urgent & Important : à faire immédiatement (Do Now)
  • Important mais pas urgent : à planifier (Decide When)
  • Urgent mais pas important : à déléguer (Delegate)
  • Ni urgent ni important : à ignorer (Don’t Do)

Ca a le mérite d’être simple et visuel, d’où son succès.

Mais la notion d’urgence a ses limites dans un monde ou désormais tout est urgent. Quant à savoir ce qui est important ou non cela impose de se demander si on parle de ce qui est important pour nous, pour quelqu’un d’autre ou pour le collectif et donc de savoir lequel des trois on va prioriser. Remarquez que cela vaut pour l’urgence également.

Sachant qu’on ne travaille jamais seul et que la plupart du temps on contribue à un collectif, vous pouvez faire tous les efforts que vous voudrez pour bien remplir votre matrice, son résultat va forcément mécontenter des gens autour de vous qui auraient préféré que vous priorisiez telle ou telle chose.

Une personne avec qui j’en parlais dernièrement m’avait d’ailleurs dit qu’à la fin il avait fini par trancher : il évaluait ces critères en fonction de l’autorité et du pouvoir de nuisance de la personne qu’il allait faire attendre ou pas. Pas le plus efficace pour l’entreprise mais le plus sûr pour elle.

MoSCoW : décider ensemble de ce qui compte

Issue du monde agile, cette méthode est utile quand on travaille en équipe :

CatégorieSignification
MustCe qui doit absolument être fait
ShouldCe qui est souhaitable
CouldCe qui est optionnel
Won’tCe qui est écarté (pour l’instant)

Cette approche a le mérite de favoriser les arbitrages collectifs mais demande toutefois un consensus sur les critères et une vision partagée des objectifs collectifs car sinon tout le monde veut mettre ses « musts » en haut de la liste.

ICE / RICE : scorer l’impact potentiel

Très utilisée en product management, cette méthode repose sur des calculs simples.

ICE : Impact – Confidence – Effort

Cette méthode repose sur trois critères simples :

  • Impact : quel bénéfice cette action va-t-elle produire si elle fonctionne ?
    (sur une échelle de 1 à 10, où 10 = impact maximal)
  • Confidence : à quel point suis-je sûr de mon estimation d’impact ?
    (exprimée en % ou sur une échelle de 0 à 1 – utile contre l’auto-intoxication)
  • Effort : quel est le coût ou le temps nécessaire à sa mise en œuvre ?
    (souvent en jours-personnes ou points de complexité)

Formule : ICE = (Impact × Confidence) ÷ Effort

Cela permet de pénaliser les idées coûteuses et peu fiables, même si elles paraissent prometteuses.

RICE : Reach – Impact – Confidence – Effort

RICE est une version enrichie d’ICE, qui ajoute un facteur souvent négligé : le nombre de personnes concernées.

  • Reach : combien de personnes seront touchées par cette action ?
    (par exemple : utilisateurs/mois, salariés concernés…)
  • Impact : effet attendu sur chaque personne.
    (par exemple : 3 = effet significatif, 2 = modéré, 1 = léger)
  • Confidence : niveau de certitude dans les estimations.
    (idem ICE)
  • Effort : coût ou complexité pour l’équipe.
    (idem ICE)

Formule : RICE = (Reach × Impact × Confidence) ÷ Effort

Voici une illustration avec des scores fictifs :

Le grand intérêt de cette méthode c’est qu’elle permet de hiérarchiser objectivement les choses. Mais par contre elle suppose d’avoir des données fiables ce qui est rarement le cas dans la vraie vie. Et quand on commence à attribuer des scores au doigt mouillé on finit par manquer de cohérence.

Time boxing inversé : prioriser par énergie, pas par tâche

Je vous avez parlé du time boxing (Si ça n’est pas dans votre agenda, ça n’existe pas) et je vous présente ici une variante. Au lieu de partie des tâches et de bloquer du temps dans l’agenda, on définit des plages horaires en fonction de votre niveau d’énergie disponible et on affecte une tâche sur une plage ou une autre en fonction de l’énergie qu’elle requière.

D’ailleurs ça n’est pas une technique en tant que telle car elle peut être utilisée en combinaison avec les autres approches mentionnées ici voire avec le time boxing traditionnel.

  • Matin : tâches stratégiques ou créatives (énergie haute)
  • Après-midi : exécution ou coordination (énergie moyenne)
  • Fin de journée : email, tâches routinières (énergie basse)

Une méthode qui a le mérite de vous redonner le contrôle sur votre agenda mais qui demande de la discipline et d’être en capacité de dire non aux interruptions.

The One Thing : pour les obsédés de la productivité

Inspirée du livre éponyme de Gary Keller, cette approche repose sur une seule question :

« Quelle est la seule chose que je peux faire pour que tout le reste soit plus facile ou inutile ?« 

Chaque jour, une seule priorité. Le reste est secondaire.

Une approche qui a le mérite de vous obliger à faire des choix radicaux mais dont je doute qu’elle puisse bien fonctionner dans des environnements instables…ce qui est le cas d’à peu près toutes les entreprises.

Le vrai problème n’est pas le choix de la méthode

Beaucoup cherchent la « bonne méthode » comme on cherche une solution magique. Mais tant que l’organisation reste floue sur les objectifs, ne donne pas le droit refuser et qu’on ne comprend pas que l’hyperconnexion (Hyperconnexion en entreprise : le numérique devient un fardeau) et la surcharge cognitive (Infobésité Numérique : Quand les Outils de Collaboration Dégradent Productivité, QVT et Amplifient la Charge Mentale) ne sont pas des problèmes individuels mais collectifs on continuera de traiter péniblement les symptômes sans s’attaquer au mal. Le vrai enjeu est structurel, collectif et pas individuel.

D’ailleurs la personne « goulot d’étranglement » au travail ne l’est que rarement de son fait mais est davantage le symptôme d’un mal plus profond (L’interview fictive d’Eliyahu Goldratt sur l’infobésité et les goulots d’étranglement dans le travail du savoir) et pour ces personnes les techniques de priorisation ne sont qu’une des solutions parmi d’autres (Comment ne pas devenir un goulot d’étranglement au bureau ?).

Les méthodes de priorisation ne remplacent pas une approche systémique de l’organisation du travail et des équipes. Elles y contribuent mais elles ne peuvent pas, à elles seules, compenser une organisation qui distribue le travail sans ligne directrice.

Conclusion

Prioriser, ce n’est pas aujourd’hui optimiser son efficacité individuelle mais prendre une position dans un système. C’est refuser de subir, choisir ce qui mérite son attention, et l’assumer. C’est aussi quasiment un combat de chaque jour contre l’organisation pour compenser ses dysfonctionnements parce qu’elle n’est pas capable de le faire elle-même.

Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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