Personne ne veut prompter

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On nous répète à l’envi qu’il faut apprendre à prompter et que savoir rédiger des instructions pour l’intelligence artificielle était la nouvelle compétence indispensable du XXIe siècle. Des formations apparaissent, des personnes affichent des titres aussi nouveaux qu’originaux, et certains y voient même un métier d’avenir.

Mais il faudrait regarder la réalité en face : personne ne veut prompter. Pas les salariés, pas les managers, pas les clients. Et si l’on veut que l’IA s’installe durablement dans nos vies professionnelles, il faudra accepter que cette étape n’est qu’un passage transitoire et en aucun cas une fin en soi.

En bref :

  • Le « prompt engineering » est une compétence survalorisée et transitoire, peu attrayante pour la majorité des professionnels, qui recherchent avant tout simplicité et gain de temps dans l’usage de l’IA.
  • L’histoire des technologies montre que leur adoption massive passe par des interfaces simples et intégrées, et non par des usages réservés aux techniciens ou passionnés.
  • Le coût caché du prompting, en temps et en efficacité, peut annuler les bénéfices attendus de l’IA, surtout dans un cadre professionnel où la productivité prime.
  • L’enjeu principal n’est pas de former tous les salariés au prompting, mais d’intégrer l’IA dans les outils et processus métier existants, de façon fluide et contextuelle.
  • L’adoption de l’IA passera par son invisibilité dans les flux de travail quotidiens, au service direct de la tâche à accomplir, plutôt que par la maîtrise explicite de l’outil.

L’illusion du prompt engineering

Depuis quelques mois, on nous explique que pour tirer parti de l’intelligence artificielle il faudrait savoir prompter et on en a même fait une discipline, le prompt engineering, comme si demain chacun devait se lever le matin avec la mission de rédiger des instructions pour une machine.

Commençons par voir le bon côté des choses : si des gens, pour parler à des machines, se mettent à faire les efforts de précision et de clarté qu’ils n’ont jamais voulu faire pour des humains et gardent cette (bonne) attitude lorsqu’ils s’adresseront à leurs congénères à l’avenir ça sera quand même une bonne chose (On ne devrait pas être promu manager si on ne sait pas utiliser ChatGPT).

Ce voeu pieux mis à part il faut être clairs : les curieux et autres early adopters dont je fais partie et peut être vous aussi y vont de manière naturelle, cela amuse les geeks, cela nourrit quelques micro-business qui vivent de formations à la rédaction de prompts, mais pour la majorité des salariés, ce n’est ni une envie ni une compétence qu’ils souhaitent développer. Ce que les gens attendent, ce n’est pas une nouvelle charge cognitive mais une simplification. L’IA ne deviendra réellement utile, utilisable et utilisée que lorsqu’elle sera intégrée dans les outils et usages quotidiens, de façon quasi transparente.

C’est un des basiques de l’introduction de toute technologie dans le monde du travail depuis des temps immémoriaux et ça n’est pas demain que les choses vont changer. Par contre en en parle pas ou peu parce que que ceux qui le plus souvent font autorité sur un sujet ne sont pas l’utilisateur moyen qui devra ensuite se servir de la technologie. Cela n’est pas un problème (je suis le premier conscient que j’en fais le plus souvent partie) à condition d’avoir la lucidité de l’admettre et de ne de pas adopter la posture courante qui consiste à dire que « c’est les autres qui ne sont pas au niveau et ne veulent pas faire d’effort ».

De la ligne de commande aux interfaces

L’histoire de l’informatique nous a déjà donné la leçon. La ligne de commande a été un formidable levier de productivité pour certains, mais l’informatique grand public n’a explosé qu’avec l’arrivée des interfaces graphiques. Tant que la manipulation des machines restait réservée à ceux qui savaient taper des commandes, l’usage était limité à une élite technique.

On peut d’ailleurs faire la même remarque pour le téléphone mobile et le smartphone.

Aujourd’hui, l’IA en est encore à ce stade. Elle interroge, elle étonne, elle intéresse mais elle reste bridée par le besoin de manipuler le langage comme une suite d’instructions. Tant que l’utilisateur doit apprendre à « parler machine » plutôt que l’inverse, on ne franchira pas le cap de la diffusion massive.

Le coût du prompting

On oublie trop souvent le coût caché de cette pratique. Dans une entreprise, si un collaborateur passe dix minutes à tester et retester un prompt pour obtenir une réponse correcte, le bénéfice attendu s’est parfois déjà évaporé. Vous me direz qu’on apprend en essayant mais récemment un spécialiste m’a montré qu’à l’échelle d’une entreprise, la différence entre des salariés qui promptent efficacement et ceux qui ne le font pas est une facture qui peut varier de 1 à 10 ! Peut être une variable à prendre en compte.

L’impression de productivité masque une réalité souvent plus nuancée. Oui, l’outil impressionne, mais si le gain de temps est avalé par la complexité de l’interaction, alors l’équation économique peut être négative. Et on ne parle même pas de la barrière à l’adoption pour les utilisateurs qui peuvent se décourager voire se détourner de l’IA.

Le métier avant la machine

Le vrai enjeu, la prochaine étape, n’est donc pas de former des bataillons de salariés au prompting, mais de concevoir des systèmes qui s’intègrent dans leurs métiers. Le travail de Jocelyne à la compta n’est pas de dialoguer avec une IA, mais de produire des états financiers fiables. Celui de Robert au marketing n’est pas d’enchaîner des prompts, mais de comprendre ses clients et d’aligner un message pertinent.

C’est la vieille histoire de la ruée vers l’or. Les chercheurs n’étaient pas là pour perfectionner l’usage des pelles, ils étaient là pour trouver de l’or et bien souvent les seuls qui ont eu la garantie de s’enrichir étaient les vendeurs de pelles. Aujourd’hui, ceux qui prospèrent sur l’apprentissage du prompt rejouent le même scénario mais ça n’est pas eux qui créeront de la valeur durablement. A un moment donnée, pendant une phase d’amorçage, de découverte, de montée en maturité des outils oui mais pas à long terme.

De l’interface technique au compagnon « furtif »

La véritable valeur de l’IA ne sera pas captée par ceux qui apprennent à manipuler la machine à coups d’incantations mais par ceux qui sauront l’intégrer de manière quasi invisible dans les flux de travail, là où elle se fait oublier et où elle augmente la performance sans effort conscient sans que l’utilisateur n’y pense. Bref, là où la technologie disparait derrière l’usage métier et qu’on ne parle plus d’elle (La technologie est un mot qui décrit quelque chose qui ne fonctionne pas encore (Douglas Adams)).

On doit passer d’une technologie réservée aux bricoleurs à une technologie universelle, adoptée non pas parce parce les geeks excellent à en tirer profit mais parce qu’elle est utile à tout le monde, sans barrière de compétence à l’entrée. Ce sera le moment où l’on cesse de parler d’IA pour ne plus parler que de travail, de valeur produite et de bénéfices tangibles.

IA intégrée vs IA standalone

En entreprise, la différence entre une IA intégrée dans les outils de travail et une IA proposée comme solution autonome est essentielle. Les assistants généralistes comme ChatGPT ou Claude peuvent séduire certains profils curieux, mais pour la majorité des collaborateurs, ils restent en dehors du flux de travail. Il faut ouvrir un environnement séparé, inventer des prompts, transférer des contenus, puis les réintégrer ailleurs. C’est une logique d’expérimentation, bien sûr très utile pour tester des idées et pour certains profils, mais qui peine à trouver sa place dans le quotidien de métiers organisés autour de processus et d’outils bien établis.

A l’inverse, les acteurs qui amènent l’IA au plus près des usages métier changent la donne. Microsoft avec Copilot dans la suite 365 (parfois), Salesforce avec Einstein ou encore ServiceNow dans la gestion des opérations ne demandent pas à l’utilisateur d’apprendre à dialoguer avec une machine. L’IA s’intègre dans Outlook, dans Word, dans un CRM ou un outil de support, et elle intervient de manière contextuelle sur des tâches précises : préparer une présentation, qualifier un lead, rédiger une note de réunion, documenter un ticket. L’utilisateur n’a pas à se poser la question du prompt, il reste concentré sur son travail et bénéficie d’une aide spécifique lors de moments clés. Il ne pilote pas l’outil mais l’outil le prend par la main lorsque nécessaire.

Cette intégration est la véritable condition de l’adoption. Comme hier avec l’informatique, ce n’est pas la puissance de la technologie brute qui a fait la différence mais sa capacité à s’inscrire dans les usages quotidiens. On comprend alors pourquoi des acteurs comme OpenAI, qui ne disposent pas de cette proximité métier, doivent s’appuyer sur des partenaires pour pénétrer les entreprises à grande échelle. Sans le relais de Microsoft, leur technologie resterait largement confinée à des usages individuels et exploratoires.

Conclusion

Si l’intelligence artificielle doit s’installer durablement dans l’entreprise et dans la société, elle devra suivre la même trajectoire que l’informatique hier : passer d’une interface à maitriser à un compagnon quasi invisible.

Le jour où l’on ne parlera plus de prompts mais uniquement de travail mieux fait, nous saurons que l’IA aura quitté l’âge du bricolage pour entrer dans celui de la maturité. A ce moment-là, on aura cessé de demander aux utilisateurs d’être ingénieurs pour redevenir ce qu’ils doivent être : des professionnels concentrés sur leur métier, pas sur la machine.

Pour répondre à vos questions…

Pourquoi le prompt engineering n’est-il pas une compétence durable ?

Le prompting demande un effort cognitif que salariés et managers ne veulent pas fournir. Ils attendent des outils simples et intégrés. Comme pour d’autres technologies, l’étape de l’apprentissage manuel est transitoire. A terme, le prompt disparaîtra au profit d’interfaces invisibles et pratiques.

Quels sont les coûts cachés du prompting en entreprise ?

Tester plusieurs prompts prend du temps et réduit le gain de productivité. À grande échelle, les écarts entre salariés efficaces et les autres peuvent représenter un coût important. Cela freine l’adoption et plaide pour une IA intégrée plutôt que dépendante de la qualité des prompts.

Que nous enseigne l’histoire de l’informatique sur l’IA ?

L’informatique s’est démocratisée avec les interfaces graphiques, pas avec la ligne de commande. De la même façon, l’IA ne se généralisera que lorsqu’elle sera simple, intégrée et accessible, sans nécessiter de « parler machine ».

Pourquoi l’IA intégrée est-elle plus efficace que l’IA standalone ?

Une IA comme ChatGPT reste en dehors du flux de travail. A l’inverse, une IA intégrée dans Outlook, Word ou un CRM agit directement dans les tâches métier. Elle aide au bon moment, sans apprentissage supplémentaire, ce qui favorise l’adoption.

Comment saura-t-on que l’IA a atteint la maturité ?

Quand on ne parlera plus de prompts mais seulement de résultats tangibles : documents mieux rédigés, tâches accélérées, analyses plus claires. L’IA deviendra un support intégré aux flux métier, et non une compétence technique à maîtriser.

Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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