Après le rôle, la place : comment la fonction RH peut évoluer organiquement ?

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La fonction RH est très chahutée et beaucoup de personnes se posent la question de sa forme dans des entreprises elles-même en mutation sous l’impact présumé de l’IA. Mais avant de se demander ce qu’elle va devenir encore faut il réfléchir au rôle qu’on entend lui assigner. Faut-il la considérer comme une fonction support, un levier de transformation, la gardienne de la culture ou l’architecte du travail ? C’est la question à laquelle j’ai tenté de répondre la semaine dernière (Quel est l’objectif des RH ?).

Une fois ce rôle clarifié, il reste à se demander comment il se traduit dans l’organisation et cette traduction organique ne va pas de soi.

Certaines entreprises se contentent de rebrander leur fonction RH avec de nouveaux titres plus modernes, parfois pour masquer une continuité de pratiques, parfois au contraire parce que ce rebranding reflète une mutation déjà en cours. D’autres choisissent de fusionner la fonction avec des disciplines voisines, qu’il s’agisse de la technologie, des opérations ou de l’expérience employé. D’autres encore externalisent massivement les activités jugées transactionnelles. Toutes ces pistes existent mais leur pertinence dépend toujours d’un contexte précis.

Il ne s’agit donc pas de dire ce que doit être la « RH du futur » dans l’absolu, mais d’examiner les logiques qui peuvent guider les entreprises dans leurs choix.

En bref :

  • La redéfinition du rôle des RH est essentielle avant toute transformation : fonction support, levier de transformation, gardienne de la culture ou architecte du travail, chaque position implique une organisation spécifique.
  • Plusieurs modèles de transformation coexistent selon le contexte : fusion RH-IT (comme chez Moderna), approche People Ops (chez Bolt), intégration dans les opérations, externalisation partielle ou totale, ou encore émergence du rôle de Chief of Work.
  • La collaboration transversale devient centrale, avec des exemples comme l’AI Control Hub de Cisco ou la logique de « teamship » ; la réussite repose sur des compétences hybrides, une gouvernance claire et une vision partagée du travail.
  • L’expérience employé impose une approche collective au-delà des RH, impliquant IT, opérations, immobilier et communication ; elle illustre le passage d’une fonction centrée sur les processus à un rôle d’orchestration globale.
  • La transformation doit être progressive et enracinée dans la réalité du travail : diagnostic, expérimentations ciblées, co-construction avec les métiers et adoption d’indicateurs mixtes sont les conditions d’un changement organique et durable.

La tentation de la fusion RH et IT

Avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle, beaucoup d’entreprises constatent que la réussite ne dépend pas seulement des investissements technologiques mais de la capacité à aligner technologie et talents. C’est ce qui a conduit Moderna à fusionner ses fonctions RH et IT (Fusion des RH et de l’IT : Moderna redessine son organisation pour et avec l’IA et Why Moderna merged HR and IT to better ‘architect the flow of work’).

L’idée est séduisante : au lieu d’essayer de faire collaborer deux univers distincts, pourquoi ne pas les réunir sous un même toit et les contraindre à inventer ensemble la manière dont le travail sera conçu demain ? Mais les experts restent partagés (Should Your Company Merge Its CHRO and CTO Roles?). Keith Ferrazzi considère que la fusion dans l’organigramme n’est pas suffisante et que le véritable enjeu est d’inventer une forme de coopération transversale entre pairs qu’il appelle teamship » alors que Peter Cappelli insiste sur le fait que ce modèle ne fonctionne que si la personne qui dirige possède une double compétence authentique, ce qui demeure rare. Kalifa Oliver, enfin, rappelle que ce qui est inévitable n’est pas la fusion elle-même, mais l’influence croissante de la technologie sur les RH et l’exigence d’intégration progressive qui en découle.

L’exemple de Cisco mentionné dans ce même article illustre bien cette nuance : l’entreprise n’a pas fusionné RH et IT, mais elle a créé un « AI Control Hub », une coalition transversale réunissant RH, IT, finance, juridique et opérations pour superviser l’usage de l’IA et aligner les décisions sur des principes communs. On peut effectivement en déduire que la fusion n’est qu’une option parmi d’autres, souvent la moins réaliste, mais que l’exigence de collaboration est bien réelle. Mais la réussite de ce modèle suppose un leadership crédible et « biculturel », une gouvernance capable de résister à la tentation de privilégier la technologie au détriment de l’humain, et une feuille de route qui fixe des objectifs mixtes en termes d’adoption des outils et d’expérience collaborateur. A défaut, le risque est de créer une super-fonction impossible à piloter, où les responsabilités s’empilent sans cohérence et où la logique IT finit par imposer son tempo. Ce modèle est donc pertinent dans les organisations déjà matures sur le plan digital, où l’IA constitue un levier stratégique central et où la culture d’entreprise favorise réellement la transversalité.

Autre avantage que je vois dans cette approche : rééquilibrer les moyens entre des RH toujours sous dotées et une IT aux effectifs de plus en plus pléthoriques. Si le fait qu’on se retrouve souvent avec un RH pour 100 personnes et un IT pour 30 ne vous interpelle pas, sachez que ça n’est pas mon cas (Le capital humain ? Moins bien doté que le capital technologique ).

La montée en puissance des People Ops

D’autres entreprises, comme Bolt, ont choisi une voie différente en supprimant purement et simplement la fonction RH pour la remplacer par une approche « People Ops » (Why Bolt eliminated traditional HR and reset with a new People Ops approach). Phénomène intéressant car en général les People Ops sont une sous partie des RH qui, ici, devient le coeur de leur activité.

Ici, le rebranding semble aller au delà du cosmétique et traduit une volonté de passer d’une logique de conformité et de processus à une logique de service et de produit. L’objectif est d’enlever les frictions, de donner davantage d’autorité aux managers au quotidien et de traiter la fonction comme un produit interne que l’on améliore en continu à partir des données, des retours des collaborateurs et des besoins du business (Et si on pensait les RH ou l’IT comme un produit ?).

A mon avis ce modèle fonctionne lorsque l’organisation est déjà orientée vers le service et lorsqu’elle dispose de compétences capables de gérer l’itération rapide, le design et l’analyse des données mais, à l’inverse, il risque d’échouer lorsque la culture reste marquée par le process et la conformité, ou encore lorsque les People Ops se limitent à une optimisation de l’existant sans influence sur la culture et le leadership. Le risque est de réduire la fonction à un rôle d’opérateur efficace mais dépolitisé et incapable de peser sur les choix structurants. Pour être pertinent, ce modèle suppose donc une articulation claire avec la stratégie business afin que la fonction ne se contente pas d’améliorer la qualité des services RH, mais devienne un levier de transformation organisationnelle. A ce moment il peut être une étape de transition qui permet de moderniser les pratiques sans bouleverser immédiatement l’ensemble de la structure.

Quand la RH se rapproche des opérations

Une autre évolution consiste à rapprocher la fonction RH des opérations, non pas seulement dans sa version « people ops », mais en l’intégrant aux vraies opérations, celles qui portent la production, la logistique ou les services. J’ai déjà défendu cette idée pour l’avoir mise en place moi même : si l’objectif ultime des RH est d’améliorer le travail dans toutes ses dimensions, il est logique qu’elles soient associées directement à ceux qui organisent et pilotent ce travail au quotidien (Quel est l’objectif des RH ?).

La réussite de ce modèle repose sur une compréhension fine du travail tel qu’il se passe vraiment, au-delà du prescrit, et sur une capacité des RH à comprendre les opérations pour contribuer à fluidifier les pratiques et enlever les frictions mais elle exige en retour que les opérations acceptent l’expérience employé comme une contrainte légitime et structurante. Contrairement à ce que l’on pourrait craindre, ça n’est pas une perte de pouvoir ni un « asservissement » des RH d’autant plus que dans mon cas c’était bel et bien une prise de pouvoir des RH sur les Ops. C’est plutôt une double adaptation : la fonction RH s’ancre dans les réalités opérationnelles et les opérations se réinventent sous la contrainte d’une expérience de travail digne de ce nom (Est-ce une hérésie que de mettre « people » et « operations » dans la même phrase ?). C’est précisément dans cette synchronisation permanente que réside la difficulté, car si l’équilibre se rompt, l’une ou l’autre des logiques peut prendre le dessus d’où l’importance de confier le pilotage de l’ensemble à une personne qui a vraiment une double sensibilité. Mais quand cela fonctionne le bénéfice est évident : la fonction RH cesse d’être perçue comme un support lointain et bureaucratique et devient un acteur direct de la performance. Ce modèle est particulièrement pertinent dans les entreprises fortement opérationnelles, qu’elles soient industrielles, de distribution ou de services.

Vers des RH plus distribuées, voire externalisées

A l’autre extrémité du spectre, certains imaginent une fonction RH de plus en plus distribuée, voire externalisée. Nicolas Bourgeois et Gilles Verrier, dans leur ouvrage Les RH en 2030, expliquent que la fonction tend à devenir si hétérogène qu’il est probable que certaines entreprises se passeront d’une DRH en tant que telle. Julien Martino va encore plus loin dans un post sur LinkedIn en affirmant que la fonction RH interne est vouée à disparaître : toutes ses composantes, y compris celles de proximité, peuvent être externalisées. La paie et le juridique le sont déjà souvent ; demain, cela pourrait concerner le recrutement, la formation, voire l’accompagnement managérial.

Je pense que cette approche peut fonctionner si l’on segmente clairement ce qui relève du cœur stratégique et ce qui peut être traité comme une commodité, que l’on met en place des mécanismes robustes de pilotage des prestataires et qu’on conserve une capacité interne à arbitrer. Mais elle comporte de vrais risques : l’expérience collaborateur peut s’affaiblir, la dépendance à des partenaires externes peut devenir excessive et les coûts cachés de coordination peuvent effacer les gains. Ce modèle devient pertinent dans des entreprises qui veulent concentrer leurs ressources sur la stratégie et déléguer tout ce qui est standardisable, à condition qu’elles disposent déjà d’une culture familière de l’externalisation, comme c’est le cas dans la finance ou l’IT.

L’expérience employé et l’émergence du Chief of Work

L’expérience employé est souvent présentée comme une nouvelle frontière pour les RH. Certaines entreprises créent des postes de Chief Employee Experience Officer, d’autres confient ce rôle aux RH existants. Mais l’expérience employé n’est pas un champ strictement RH : elle dépend aussi de l’IT, qui conçoit les outils, des opérations, qui structurent le travail quotidien, de l’immobilier, qui aménage les espaces, et même de la communication interne (Baromètre 2023 de l’expérience collaborateur : l’expérience employé face à ses contradictions et L’expérience employé ne sert à rien (si elle n’est pas reliée au business)). Elle illustre parfaitement le fait que la fonction RH ne peut pas, seule, prendre en charge un sujet transversal. L’expérience employé oblige les RH à collaborer, à partager leur légitimité et à accepter que leur rôle évolue de gardien des process à chef d’orchestre d’un projet collectif (RH et Opérations : le seul duo viable pour mener l’expérience employé).

Encore plus radicale est l’émergence du rôle de Chief of Work (A-t-on besoin d’un chief of work ?). Ici, il ne s’agit plus seulement de moderniser la fonction RH mais de la dépasser. Le Chief of Work ne s’intéresse pas uniquement aux personnes mais au travail dans toutes ses dimensions : organisation, technologie, management, expérience. Ce rôle est encore marginal, mais il traduit une tendance de fond : la fonction RH n’est peut-être pas destinée à se renforcer mais à se dissoudre dans une responsabilité plus large, centrée sur la conception et la fluidité du travail.

Le discours business comme condition de légitimité

Au-delà des structures, ce qui donne du poids à la fonction RH, c’est la posture qu’elle adopte. L’exemple d’Emirates est en ce sens assez intéressant (Emirates Group: « We need to have the courage to challenge old ways of working to meet the needs of a changing workforce »). Sa DRH insiste sur la nécessité d’avoir le courage de remettre en cause les modes de travail hérités du passé pour répondre aux besoins d’une main-d’œuvre en mutation. Mais surtout, elle adopte un discours résolument business : la fonction RH n’est pas là pour protéger des process, mais pour servir la stratégie, soutenir la performance et accompagner la transformation du modèle économique et ce discours business est une condition sine qua non pour que les RH puissent se permettre d’expérimenter de nouvelles configurations structurelles. Sans cette légitimité, toute tentative de fusion, de rebranding ou d’externalisation risque d’être vécue comme artificielle.

Comment transformer la fonction de manière organique

Il est facile de décréter une fusion, un rebranding ou une externalisation mais si l’on veut éviter les effets d’annonce, il faut que la transformation soit organique, c’est-à-dire enracinée dans la réalité du travail et dans la maturité de l’organisation. Cela suppose d’abord un diagnostic précis, une cartographie des activités RH selon leur valeur stratégique et opérationnelle, et l’identification des points de friction technologiques ou organisationnels qui ralentissent la fluidité du travail. Cela suppose ensuite des expérimentations à petite échelle, comme la mise en place de binômes RH-IT ou RH-Ops sur des périmètres limités, afin d’apprendre en marchant et d’ajuster la structure progressivement. Cela exige également une co-construction avec les managers et les métiers, car une transformation décidée dans un cercle restreint est vouée à l’échec.

Mais la réussite dépend aussi du développement de compétences hybrides : former les RH à la donnée, au digital, à l’expérience employé, et encourager les parcours croisés pour que la compréhension mutuelle s’installe durablement. Le pilotage doit enfin s’appuyer sur des indicateurs mixtes, qui mesurent à la fois l’adoption technologique, l’amélioration de l’expérience collaborateur et les gains de productivité. Et pour conserver les bénéfices de cette « multiculturalité », il faut une gouvernance claire, réunissant plusieurs fonctions et arbitrant régulièrement sur les priorités.

Conclusion

Ce que montrent tous ces exemples, de Moderna à Bolt, de Cisco à Emirates, c’est qu’il n’existe pas de modèle unique. Fusionner RH et IT, passer aux People Ops, rapprocher RH et opérations, externaliser largement ou distribuer la fonction : chacune de ces options peut être pertinente, mais jamais universelle.

Ce que je crois, c’est que l’essentiel ne se joue pas dans les organigrammes mais dans la capacité des fonctions à collaborer. L’avenir appartient moins à la fusion qu’à la co-construction, moins au rebranding qu’à l’intégration des logiques. Les entreprises qui réussiront seront celles qui aligneront leurs priorités technologiques et humaines, qui auront le courage de questionner les modèles hérités, et qui sauront bâtir une fonction RH non pas conforme à une mode, mais organiquement adaptée à leur culture, à leurs contraintes et à leur stratégie.

Pour répondre à vos questions…

Quel rôle doivent jouer les RH à l’ère de l’IA ?

Les RH peuvent être vues comme support, levier de transformation, gardienne de la culture ou architecte du travail. L’enjeu n’est pas de définir un modèle unique mais de clarifier leur mission selon la stratégie de chaque entreprise. Fusion, rebranding, externalisation ou rapprochement avec d’autres fonctions ne sont pertinents que s’ils s’inscrivent dans une vision claire et partagée, évitant ainsi un positionnement flou ou seulement cosmétique.

Pourquoi fusionner RH et IT ?

La fusion RH-IT cherche à aligner technologie et talents, comme chez Moderna. Elle peut accélérer l’adoption de l’IA mais exige un leadership maîtrisant à la fois humain et digital, ce qui reste rare. D’autres, comme Cisco, privilégient des coalitions transversales. Dans tous les cas, il faut une gouvernance équilibrée, sinon la logique IT risque d’éclipser l’humain.

Que signifie passer en mode People Ops ?

Inspiré de Bolt, ce modèle traite les RH comme un service interne amélioré en continu grâce aux données et aux retours collaborateurs. Il vise à réduire les frictions et responsabiliser les managers. Mais il échoue si la culture reste dominée par le contrôle et la conformité. Pour être stratégique, il doit être directement relié aux priorités business de l’entreprise.

Quels sont les bénéfices du rapprochement RH et opérations ?

Ce modèle ancre les RH dans la réalité du travail et les transforme en acteur direct de la performance. Elles fluidifient les pratiques et intègrent l’expérience employé comme contrainte légitime. Mais l’équilibre reste fragile : trop d’emprise d’un côté réduit l’efficacité. Il convient surtout aux entreprises industrielles, de services ou de distribution.

La fonction RH peut-elle disparaître avec l’externalisation ?

Certains prévoient une disparition progressive de la DRH interne, remplacée par des prestataires pour le recrutement, la formation ou l’accompagnement managérial. Ce modèle libère des ressources stratégiques mais comporte des risques : dépendance accrue, expérience affaiblie, coûts cachés. Il reste pertinent si l’entreprise distingue clairement le stratégique de l’opérationnel et pilote rigoureusement ses partenaires.

Dans cette série

Quel est l’objectif des RH ?
Après le rôle, la place : comment la fonction RH peut évoluer organiquement
Trois scénarios concrets pour l’évolution de la fonction RH

Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Directeur People & Operations / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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