On a déjà entendu cette histoire mille fois. Internet devait rendre obsolètes les cabinets de conseil en donnant un accès direct à toute la connaissance mondiale, ensuite les big data promettaient de remplacer l’expertise externe par des outils intelligents. A chaque fois on nous a expliqué que le conseil vivait ses dernières heures et, pourtant, il est toujours là et, ironiquement, on lui demande souvent de nous aider à maitriser les technologies qui devaient le faire disparaitre.
L’IA générative s’inscrit dans cette lignée d’innovations qui vont tout changer et provoquer énormément de casse et, comme souvent, la prédiction de disparition repose sur une vision erronée des réalités du métier. Oui, ça n’est pas la première fois qu’une technologie automatise une partie du travail des consultants, mais l’essentiel de leur valeur ne se trouve pas là.
En bref :
- Les vagues technologiques passées n’ont pas supprimé le conseil et l’IA générative suit la même trajectoire en automatisant certaines tâches mais sans remplacer la valeur principale du métier.
- L’IA prend en charge des missions juniors (collecte, synthèse, analyses simples, supports), réduisant la taille des équipes et augmentant le besoin de séniorité, d’interprétation et d’accompagnement stratégique.
- Les cabinets doivent intégrer de nouvelles compétences (data science, ingénierie IA, expertise métier, « traducteurs » technologiques) et combiner IA générative, analytique, prédictive et prescriptive pour renforcer la pertinence des recommandations.
- La valeur se déplace vers les experts et Partners capables d’influencer les décideurs, de jouer un rôle politique et de construire une relation de confiance, dimensions que l’IA ne peut reproduire.
- La transformation impose de repenser la formation et les parcours professionnels afin de développer plus rapidement les compétences de jugement, de gestion de la complexité et de compréhension des dynamiques humaines.
Ce que l’IA change vraiment dans le conseil
L’impact le plus visible concerne les tâches historiquement confiées aux juniors : collecte d’informations, synthèse documentaire, analyses statistiques de premier niveau, préparation de supports. Ce travail, souvent répétitif, est désormais largement automatisable grâce à des outils capables de produire en quelques secondes des documents que l’on mettait jadis des heures à assembler. Et, sincèrement, ce sont des tâches qu’aucun d’entre eux ne regrettera même si à la fin on verra que cela questionne leur montée en compétence.
Cela a une conséquence directe : les équipes projet vont se réduire et la structure des missions va évoluer, avec moins de production brute et davantage de valeur placée dans l’interprétation, la recommandation et la conduite du changement. Les clients attendront donc plus de séniorité dans les équipes, une proximité accrue avec la décision et une compréhension fine des enjeux politiques internes.
Mais cette transformation ne se limite pas à une simple montée en gamme. Elle modifie aussi la composition des équipes. Les cabinets devront intégrer davantage de data scientists, d’ingénieurs en IA, de spécialistes métiers ou de « traducteurs » capables de relier la technologie à la stratégie. On le voit déjà chez McKinsey, qui a massivement investi dans de nouvelles expertises, y compris en modélisation prédictive, tout en déployant des outils internes puissants (AI Is Coming for the Consultants. Inside McKinsey, ‘This Is Existential.’ et 5 Ways McKinsey Is Using AI), ou au BCG, qui a généralisé l’usage de ChatGPT Enterprise et développé des milliers d’agents IA pour ses consultants (How BCG Is Revolutionizing Consulting With AI: A Case Study).
On notera d’ailleurs que même OpenAI, l’un des symboles de l’IA générative, a choisi de lancer une offre de conseil intégré pour accompagner ses clients dans l’adoption et la mise en œuvre de ses outils (OpenAI’s $10 Million+ AI Consulting Business: Deployment Takes Center Stage). Ce mouvement montre bien que la technologie seule ne suffit pas et OpenAI reconnaît implicitement que la valeur réside aussi dans l’accompagnement humain, la compréhension fine des enjeux métier, la gestion des résistances internes et la traduction d’un potentiel technique en résultats tangibles.
Du temps passé à la valeur produite
L’IA ne transforme pas seulement les méthodes de travail des consultants, elle rebat aussi les cartes du modèle économique du secteur. Le schéma traditionnel fondé sur la facturation au temps passé, déjà remis en question depuis quelques années, cède progressivement la place à des approches indexées sur la valeur produite. Certains grands cabinets, comme McKinsey, affirment que près d’un quart de leurs missions sont désormais rémunérées en fonction des résultats obtenus.
Dans ce contexte, le client ne paie plus pour des heures ou un livrable, mais pour un impact tangible : gains de productivité, transformation réussie, mise en œuvre accélérée. L’IA, en automatisant une partie des tâches à faible valeur, renforce cette tendance et elle incite les cabinets à concentrer leur intervention sur les zones où l’expertise humaine fait réellement la différence.
Sur ce point elle ne change finalement rien et ne fait qu’accélérer des transformations déjà en cours.
Il n’y a pas que l’IA générative dans la vie
C’est l’IA générative qui a lancé le débat sur l’avenir du conseil mais elle n’est qu’une des multiples formes d’IA à notre disposition (L’IA pour les nuls qui veulent y voir un peu plus clair). Limiter le sujet de l’IA au seul champ génératif serait dont une erreur majeure et les cabinets les plus avancés mobilisent déjà des IA analytiques, prédictives, prescriptives ou hybrides, qui traitent des volumes massifs de données structurées, modélisent des scénarios ou optimisent des processus entiers.
Ces autres formes d’IA ne remplacent pas le conseil mais elles l’arment car elles permettent d’anticiper des risques, de tester des hypothèses ou de simuler l’impact de décisions avant leur mise en œuvre. Là encore, la valeur n’est pas dans la donnée brute, mais dans la capacité à interpréter les résultats, à les traduire en décisions actionnables et à les défendre auprès des parties prenantes.
Le rôle des experts et des partners
Au sommet de la pyramide, le rôle des experts reconnus et des artners gagne en importance. Dans un environnement où les livrables standardisés se banalisent, la valeur se concentre encore plus sur ceux qui savent créer un accès direct aux décideurs, engager des discussions stratégiques et porter une vision qui dépasse la simple exécution.
Leur crédibilité personnelle, souvent construite sur des années d’expérience, devient un levier commercial et un gage de confiance. L’IA peut bien sûr accélérer l’analyse ou enrichir la préparation, mais elle ne remplacera pas cette capacité à influencer, à rassurer ou à ouvrir des portes au plus haut niveau.
Pourquoi la valeur se déplace vers les seniors
A mesure que les tâches automatisables disparaissent, ce sont les compétences de jugement, de gestion de la complexité et de navigation dans les organisations qui deviennent centrales. Or, ces compétences s’acquièrent avec le temps et l’exposition à des situations variées.
Se pose alors la question de savoir comment former les futurs seniors si les parcours classiques, qui passaient par plusieurs années de missions juniors, se réduisent drastiquement (L’IA va-t-elle remplacer les juniors ? Le faux débat qui cache la forêt) ? Il faudra repenser les trajectoires de carrière, intégrer davantage de formation immersive, et peut-être créer de nouvelles étapes intermédiaires qui ne reposent pas sur la simple collection de données et production de livrables.
Un métier aussi politique que technique
Il faut aussi rappeler que le conseil ne se résume pas à une production intellectuelle. Parfois, le rôle du consultant est d’être un paratonnerre et il arrive qu’un client, en lançant un projet, sache déjà qu’il a peu de chances d’aboutir mais souhaite pouvoir en attribuer l’échec à un acteur externe.
Dans d’autres cas, il a simplement besoin d’un rapport signé d’un nom prestigieux pour attester qu’il a « travaillé sur le sujet », avant de ranger le document dans un tiroir. Ces réalités, aussi cyniques soient-elles, expliquent pourquoi la présence d’un cabinet externe conserve une valeur, indépendamment de ce que l’IA peut produire. L’algorithme ne prendra pas la responsabilité d’un échec ni ne jouera le rôle de caution politique dans une organisation.
Ce sont des rôles que les cabinets de conseil et, encore plus, les consultants en première ligne détestent jouer ou qu’on leur fasse jouer à leur insu le plus souvent, mais pour le client ces rôles n’ont parfois pas de prix.
La confiance, un actif stratégique rare
Enfin, il reste une dimension que l’IA ne sait pas reproduire : la relation de confiance. Un consultant expérimenté, parfois dans un rôle à la Jiminy Cricket, peut challenger un dirigeant, écouter ses doutes, confronter ses choix sans agenda caché.
Cette capacité à devenir un confident ou un miroir critique repose sur une compréhension fine des personnes, de leurs motivations et de leurs contraintes et relève totalement de l’intuitu personae. Elle suppose également de savoir naviguer dans l’informel, un terrain que la machine ne perçoit pas. Dans un environnement de données et de recommandations générées par des algorithmes, la rareté et donc la valeur d’un avis humain fiable ne cessent d’augmenter.
Conclusion
L’IA, qu’elle soit générative ou non, ne signe pas la fin du conseil. Elle en transforme la structure, accélère certaines tâches, bouscule les parcours de carrière et pousse à renforcer la séniorité des équipes. Elle impose aussi d’intégrer de nouvelles expertises et de repenser la formation des talents.
Mais elle ne remplace ni le jugement, ni la compréhension des dynamiques humaines, ni la capacité à assumer un rôle politique dans des environnements complexes. Le conseil survivra, non pas en s’opposant à l’IA, mais en l’intégrant intelligemment à sa pratique, tout en cultivant ce que la technologie ne sait pas et ne saura probablement pas reproduire : l’art d’accompagner les décisions humaines dans toute leur complexité.
Crédit visuel : Image générée par intelligence artificielle via ChatGPT (OpenAI)








