Le lieu de travail post covid : l’hybridation dans la douleur

Le bureau devait être la grande victime collatérale de la crise du COVID. On nous prédisait des centres ville abandonnés par les entreprises, des mètres carrés abandonnés, des salariés qui ne reviendraient plus au bureau. Qu’en est-il maintenant que l’on commence à y voir plus clair ?

Quels enjeux autour du lieu de travail

Le lieu de travail cristalise un certain nombre d’enjeux et les réduire à « l’endroit où on installe les gens pour qu’ils fassent leur boulot » serait très réducteur.

Pour faire simple pour l’entreprise le lieu de travail est un enjeu à différents niveaux :

  • Organisation du travail : on ne s’organise pas de la même manière à distance qu’en présentiel.
  • Management et leadership : beaucoup de managers ne sont pas à l’aise à distance à tel point que la question du management se transforme en réflexion sur le contrôle.
  • Culture d’entreprise : si on en croit ce qu’elles en disent la culture ne se diffuse que lorsque les gens sont ensemble physiquement. Ce sujet englobe également la socialisation
  • Finance : moins de bureaux = plus d’économies.

Ce qui est intéressant c’est que pour les salariés les enjeux sont différents. C’est une question de :

  • Socialisation
  • Equilibre vie pro / vie perso
  • Productivité : pour certaines tâches on est bien mieux au calme chez soi
  • Travail collectif : alors que le « co » se généralise (co-design, co-créativité, agilité avec les « dailys ») le bureau doit rendre ces dynamiques possibles, sinon il ne sert à rien.

En comparant les enjeux des uns et des autres on voit déjà que le compromis sera difficile, d’autant plus qu’il reposera sur un non-dit : suivant de quel côté on se trouve on ne l’acceptera pas pour les mêmes raisons. Et quand on négocie sans être d’accord sur les critères, cela accouche souvent d’un résultat qui ne convient à personne.

Le leurre de l’hybridation

Il est facile de comprendre que les enjeux liés au lieu de travail, qu’on se mette du côté de l’entreprise ou du côté du collaborateur vont beaucoup plus loin qu’une simple réflexion sur l’immobilier ou la localisation du salarié : c’est une réflexion sur la transformation des modes de travail, du management, du leadership et sur la conception même de ce lieu.

Rien de neuf : le télétravail n’a fait que mettre en lumière des sujets anciens qu’on avait l’habitude de cacher sous le tapis et que le retour au bureau devrait permettre de dissimuler à nouveaux car trop compliqués à adresser en profondeur.

Donc plutôt que se poser ces questions le débat est devenu beaucoup plus binaire : où le salarié va-t-il travailler ? Bureau ou maison ? Là une solution magique s’est imposée : le travail hybride. Ce sera ni l’un ni l’autre, mais un peu des deux selon un ratio restant à déterminer. Et d’un seul coup cela un devient un débat sur la localisation du salarié avec des arguments liés à la culture d’entreprise car vu que le salarié ne sera pas à 100% en télétravail les entreprises se croient dispensées de réflexion sur leur transformation.

Vu que personne ne sera à 100% en télétravail le bureau va redevenir la norme et le distantiel l’exception, on va donc appliquer le modèle du travail au bureau dans une organisation hybride et cela ne pourra être que douloureux.

Je ne m’étendrai pas davantage sur le sujet vu que l’ai longuement traité il y a peu mais si le travail hybride est une réalité en tant que concept de répartition du temps de travail entre le bureau et le remote, c’est une illusion en tant que mode d’organisation du travail ou de modèle de management. Tant qu’une personne est à distance, l’entreprise doit fonctionner comme si tout le monde l’était. C’est aussi simple que cela.

L’hybridation du travail se fera mais sera douloureuse : parce que le fonctionnement de l’entreprise ne s’adaptera pas, parce que le management ne s’adaptera pas, parce que beaucoup de managers et de dirigeants freineront des quatre fers. On peut espérer qu’avec le temps et le renouvellement générationel les choses changent, juste espérer.

Le bureau comme outil de travail

S’il y a une chose qui va changer c’est le design du lieu de travail. Je le disais plus haut : la manière dont on travaille est en train de changer de manière irreversible avec plus d’activités collectives et de créativité.

L’approche design thinking qui se répand, l’agilité qui se généralise avec ses « cérémoniaux » : on a besoin de plus d’espaces pour se réunir, parfois pour créer, parfois pour échanger rapidement debout en petit comité… Le bureau d’hier avec ses open spaces et ses salles de réunion où il est difficile de se mouvoir et coller des murs entiers de post-its ne correspond pas aux besoins de demain. Le bureau de demain aura certainement moins d’open spaces et plus d’espaces modulables pour se livrer à ce type d’activités.

Bien sur cela n’a rien à voir de manière directe avec les conséquences du COVID mais vu que se pose la question du futur du bureau, que le travail hybride libérera de l’espace, il serait dommage de ne pas pousser la réflexion jusqu’au bout et de réfléchir à l’organisation du bureau.

Mais encore une fois cela nécessite de ne plus voir le bureau comme un endroit où en entrepose des gens mais comme un outil dont ils se servent pour leur travail. Si on voit les salariés comme des poules pondeuses on construit des poulaillers, si on les voit comme des intelligences qui doivent se rencontrer et se mélanger on construit autre chose…

Ayons juste en tête une chose : le « lieu de travail », hier l’usine, aujourd’hui le bureau, a été conçu pour permettre la rencontre entre le salarié et l’outil de production. Aujourd’hui, avec le développement du travail du savoir, les individus sont devenus leur propre outil de production avec, le plus souvent, l’assistance d’un ordinateur lui aussi mobile et connecté. Tirons en les conséquences.

Le bureau lieu de socialisation

Un des rares sujets sur lequel entreprises et salariés s’accordent est le besoin de maintenir un contact social. Quoique là encore on voit des divergences si on lit entre les lignes. Là où l’entreprise y voit le seul et unique moyen de maintenir et diffuser sa culture le collaborateur y voit simplement la satisfaction d’un besoin de contact humain et de voir leurs collègues.

D’ailleurs les entreprises qui ont été au bout de la démarche de télétravail pour devenir « full remote » ne disent pas autre chose : il est essentiel d’organiser des moments de rencontre, au bureau ou ailleurs si on n’a plus de bureaux.

Donc le bureau de demain, en plus d’espaces de travail adaptés aux nouveaux modes de travail, comportera donc des espaces de socialisation, des endroits où les gens passent du temps ensemble sans travailler.

Dit comme cela tout semble évident et logique mais la démarche me semble questionnable sur le long terme. Les bureaux sont une charge financière lourde pour l’entreprise et le passage au travail hybride a pour conséquence indirecte, mais appréciable, de diminuer cette charge si on adapte la surface au nombre de salariés effectivement présents.

Mais si on compense un plus faible besoin en espace de travail pour le remplacer par des espaces de socialisation il faudra à un moment justifier un investissement dédié aux salariés…lorsqu’ils ne travaillent pas. De la même manière, la logique selon laquelle un des motifs pour lesquels les salariés reviendraient au bureau est de passer du temps sans travailler ne manquera pas d’être questionnée par les financiers les plus scrupuleux.

Aujourd’hui on est sous le choc et on a une croissance de 6%. Qu’en sera-t-il demain lorsqu’une prochaine crise nous ramènera sur terre ?

Un arbitrage devra être fait entre politique de socialisation dans les murs de l’entreprises et hors de ses murs. Une approche exclusivement financière mais on ne pourra en faire l’économie.

Le bureau comme outil d’attractivité

Pour finir si le télétravail devient de plus en plus un critère de décision pour les collaborateurs, le lieu de travail qui était déjà un outil de marque employeur va se voir renforcer dans ce rôle.

Mais tout n’est pas si simple. De beaux bureaux flambant neufs, avec des espaces de travail fonctionnels et des espaces de vie accueillants cela compte. Mais pas des bureaux situés n’importe où.

Il devient difficile d’imposer aux collaborateurs de longs trajets alors que le télétravail fonctionne. De quoi remettre en cause la politique qui pendant longtemps consisté à s’éloigner des centre ville pour trouver des mètres carrés moins cher ? Là encore il sera difficile de faire l’économie de cette réflexion. A partir du moment où on a besoin de beaucoup moins de surface, des localisations autrefois inenvisageables redeviennent possibles et sont plébiscitées par les salariés et les candidats. Et regardez où sont installées la plupart plus belles startups Françaises ou étrangères à Paris…elles ne sont pas à la Défense ni de l’autre de côté du périphérique…

Conclusion

L’avenir du lieu de travail n’est pas la fin du bureau mais des bureau différents et utilisées différemment. Au delà des réflexions évidentes sur le travail hybride et sur la fonctionnalité du lieu de travail se posent également des questions plus financières qu’on ne pourra éviter.

Quant à savoir si le travail hybride permettra également une transformation des modes de travail et de management c’est la grande inconnue car, pour l’entreprise, le travail hybride, par opposition au télétravail total, est un moyen d’éviter cette réflexion.

Dans cette série :
L’entreprise post COVID : mythe ou réalité ?
Le COVID n’a pas été un acteur de changement mais un excellent consultant
Le salarié post covid : un marché d’une personne insaisissable
Le manager post-covid : plus indispensable et perdu que jamais.
L’organisation post covid : plus plate, agile, flexible, rapide et simple
Les opérations post covid : formalisées, simplifiées, automatisées et People Centric
Le lieu de travail post covid : l’hybridation dans la douleur
Culture d’entreprise post covid : la grande reconstruction dans le désordre.
Valeurs d’entreprise post covid : beaucoup de promesses et peu d’effets. (A venir)
La Digital Workplace post Covid : ATAWAD et ouverte à tous. (A venir)

Image : travail hybride de  WD Stock Photos via Shutterstock

Bertrand DUPERRIN
Bertrand DUPERRINhttps://www.duperrin.com
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
Head of People and Operations @Emakina / Ex Directeur Consulting / Au croisement de l'humain, de la technologie et du business / Conférencier / Voyageur compulsif.
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